THAÏLANDE
Chiang Mai - L'orient
Chiang Mai - Des temples et des restaurants
Chiang Rai - et autres extravagances
CHIANG MAI
L'ORIENT
Janvier 2014
J’ai décidé d’aller en Asie essentiellement parce que ce continent me fait peur. C’est une culture éloignée de tout ce que je connais, une écriture que je ne comprendrai jamais et il y a là-bas plein de bibites qui font mal. Étant végétarienne, comment m’assurer qu’on ne me sert pas sournoisement du bœuf ou du cochon dans mon beignet si je ne peux pas communiquer ou lire un menu ? Qu’est-ce qui arrive si je tombe malade et que je n’arrive plus à prendre soin de moi ? Je lis des articles sur toutes les arnaques à la thaïlandaise, à la vietnamienne, à la cambodgienne et je ne comprends pas comment quiconque peut consciemment choisir de s’acheter un billet d’avion pour partir seul dans ce coin du monde. Et pourtant c’est ce que je fais, parce que…, parce que ça me tente. J’ai envie d’avoir des histoires à raconter et j’aime toutes celles qui commencent par : « je me promenais dans les rues de Saigon », ou bien « en longeant le Mekong »…
La Thaïlande n’a jamais été sur ma liste, mais les billets sont beaucoup moins chers que pour le Vietnam, alors, bonjour Bangkok ! Ma première escale se fait à Amsterdam, qui est le seul aéroport que je connaisse où 5 heures d’attente ne me dérangent pas. Il est immense ! Il inclut un musée, une bibliothèque, un marché de fruits et légumes et un espace détente pas réservé aux VIP lounges. Roissy, va y jeter un coup d’œil et apprendre deux ou trois choses. Au pire tu passeras un bon moment.
Deuxième avion, direction Bangkok. Je voulais y rester quelques jours, mais une manifestation contre le régime se prépare et mon père me convainc d’aller directement à Chiang Maï, chez un de ses amis qui a accepté de m’héberger quelques jours. Ça va me permettre de me remettre du décalage horaire dans de bonnes conditions, et de rassurer mes parents. Suis-je réellement en direction d’un pays potentiellement en guerre ?
J’ai encore deux heures d’attente avant mon dernier vol. J’ai des flash backs de l’année de mes 16 ans, où je suis allée avec mes parents et mon frère passer une semaine dans un tout inclus à Ko Samui. Je me rappelle d’être sortie de l’avion directement sur le tarmac, pensant pouvoir enfin respirer de l’air frais très matinal, mais, à la place, d’être envahie par cette chaleur étouffante. Je me souviens des paysages de cocotiers et de ma première rencontre avec des éléphants, mais aussi de la constatation que je n’aime pas les resorts qui veulent rendre les escapades à l’extérieur superflues. Après toutes ces années, j’en suis arrivée à ne plus être sûre d’être jamais allée en Asie. Bien que j’ai beaucoup aimé cette semaine au bord de la mer de Chine, je considère qu’aujourd’hui se font mes premiers pas en Orient.
Dernier avion. D’un départ d’Annecy en France à 9h, j’arrive à Chiang Maï à 16h30 le lendemain. Daniel, l’ami de mon père, m’attend avec sa femme Mukka, thaïlandaise. Ils me font traverser la ville en voiture puis m’emmènent dans un restaurant au bord de la rivière Ping. Le décor aux lanternes est touristique selon eux, mais ils aiment venir ici car la nourriture est excellente et locale. On se partage les plats, façon thaïlandaise. Un pad thaï, une assiette de légumes inconnus et du poisson épicé qui m’ont totalement fait oublier que je n’avais pas faim.
Ils m’emmènent ensuite dans leur grande maison, dans les hauteurs de la ville. Elle est sur un étage, en U, avec au milieu un énorme patio et autours un vrai jardin botanique. Ils hébergent et veillent aux études des enfants des frères de Mukka, comme c’est de coutume. Les plus aisés prennent soin des plus pauvres. Il y a aussi des poules, des dindes (celles qui ont survécu à noël), un sanglier, un chat sauvage et une dizaine de chiens. Je suis mise en garde de l’un d’eux, qui a tendance à mordre les étrangers. Si je le vois, je dois me cacher et attendre qu’un habitant agréé de la maison soit là, pour valider ma présence aux yeux du canin.
Le matin, je suis réveillée à l’aurore par des annonces au mégaphone provenant du village. Je guette l’arrivée d’un de mes hôtes car le chien de garde veille ma porte, il ne m’a pas oubliée. Je me dirige dans l’aile cuisine de la demeure. Ne voulant pas trop me brusquer, la famille ne m’offrent pas de leur poisson et riz déjeuner, mais me sortent toasts et confiture que les neveux me regardent manger l’air étonné et peu convaincu.
Je préfère voyager en auto ou train, car le paysage changeant permet de s’acclimater. Au contraire, avec l’avion, on entre dans une grosse boîte en métal, on passe quelques heures à respirer de l’air usagé puis on atterrit dans un endroit complètement étranger. Ça me prends toujours quelques jours à réaliser où je suis.
C’est dans cette confusion géographique que je me prépare à aller visiter la Thaïlande. Dès que Daniel est prêt à me donner un lift.
CHIANG MAI
DES TEMPLES ET DES RESTAURANTS
Janvier 2014
Pour aller dans le centre de Chiang Maï, Daniel me dépose au bus local, c’est à dire un vieux pick up dans lequel s’entassent le plus de monde possible, pendant 45 minutes. La vieille ville est un carré de deux kilomètres de côté, bordé d’un canal, et autrefois protégé par des remparts, desquelles ne restent que les portes. À l’intérieur il y a des dizaines de temples impressionnants. Je n’avais jamais été très attirée par la culture asiatique, mais de voir toute la beauté de ces lieux, les colonnes colorées, les bouddhas, les fresques,… je change tranquillement d’avis. Je couvre mes épaules indécentes d’un paréo dans les lieux saints, ce qui m’évite d’avoir à louer une sorte de toge mise à disposition des autres occidentaux à la peau trop apparente. L’obligation de laisser ses souliers à l’entrée crée un beau fouillis multicolore devant les portes. C’est même agréable de marcher pieds nus sur ces beaux tapis.
À l’entrée d’un temple, un moine me fait signe d’entrer. Il me passe un bracelet en me bénissant. Enfin, je suppose; ça me fait rire de penser qu’il peut dire n’importe quoi. Je remarque qu’une table avec des billets se trouve juste à côté pendant qu’il m’asperge avec une sorte de pinceau de paille qu’il a plongé dans de l’eau. Il me sourit. Après tout, toute bénédiction est bonne à prendre.
Je goûte un jus de pastèque, fait avec un fruit qui traînait sur le comptoir, et de la glace; tout ce qu’on m’avait déconseillé. Étant dans un endroit surpeuplé de touristes, je prends le risque !
Pendant les repas à la maison, on se fait servir par les nièces de Mukka. Je me sens comme une colonialiste, c’est perturbant. Au début je ne savais pas si elles me souriaient par servilité ou par gentillesse. Par la suite je vais passer du temps avec elle et vais comprendre qu’elles sont pleines de gratitude envers leur tante de leur payer leurs études, et qu’elles sont tout simplement très gentilles.
Un soir, Daniel et les nièces m’emmènent en ville. La fin de semaine, les rues sont transformées en un immense marché. Ils me promènent d’un stand d’oeufs de caille, à une roulotte de riz soufflé, à un local caché vendant des brioches de haricots et ainsi de suite, dévorant mon chemin dans les rues étroites de Chiang Maï. Je ne cache pas que je dois parfois dépasser ma répulsion de l’aspect de certains plats, mais le goût, lui, n’est jamais décevant. Apparemment, on passe encore plus de temps à manger en Thaïlande qu’à Montréal !
Daniel me fait rencontrer deux de ses amis français expatriés. Marcel était agriculteur en Meurthe-et-Moselle et a rencontré sa femme thaïlandaise plus ou moins par correspondance. Il ne parle pas le thaï et elle parle peu français. Il vivent 8 mois de l’année en France et le reste du temps ici. Ils communiquent peu et pourtant il y a une forte complicité entre eux. Il a mille histoires à raconter, avec un accent paysant très agréable. Paul-André, lui, a rencontré sa femme ici et a adopté ses deux enfants. Ils sont arrivées un soir en tenues traditionnelles, comme c’est l’usage le vendredi à l’école. Ancien policier franco-allemand, il parle le thaï, mais ne le lit pas. Daniel le parle, le lis, l’écrit. J’ai devant moi tous les degrés d’intégration. C’est très intéressant de me comparer mon expérience d’expatriée à la laeur. Le choc culturel ici est plus important qu’entre la France et le Québec, mais les bases sont les même. Jusqu’où est-on prêt à s’adapter et à quel point doit-on renoncer à ses racines pour cela. Comment mélanger deux cultures.
Le dimanche on m’emmène à la messe. L’église est petite et décorée sobrement. Il y a des enfants de chœur thaïs et birmans de villages reculés qui, pendant deux ans, sont éduqués sous la tutelle de l’église. Le service ne paraît pas très solennel. Le monde entre et sort, les chants ont une mélodie joyeuse et des paroissiens font des lectures. Le curé, pour son sermon, suit ses notes sur son ipad.
Après le service, je suis Daniel et ses amis en ballade. On s’arrête d’abord dans un village Hmong. C’est un mélange de cabanes au bord de l’effondrement et de belles maison, toutes dotées d’une antenne de télévision sur le toit. On m’explique que c’est un peuple assez riche, avec un très grand sens du commerce, qui vit de ses cultures et ouvrages. Je réalise maintenant que je les ai vu dans tous les marchés et magasins touristiques que j’ai croisés à date.
On continue jusqu’en haut de la montagne, dans une restaurant au panorama à 360 degrés. Il y a là des champs de pâquerettes, une auberge avec des dizaines de tentes et en bas des champs de maïs. Je parie que les campeurs sont témoins d’assez beaux levers et couchers de soleils. Même la fraicheur qui me fait regretter ma tuque ne m’empêche pas de souhaiter avoir ma tente avec moi. On partage des plats sélectionnés par Mukka la maître d’œuvre, au sommet de cette nature qui s’étend à perte de vue.
Un peu plus loin, on peut louer un genre de charrette en bois, avec un bâton entre les jambes pour freiner, et les pieds contrôlent la direction des roues avant. Paul-André me confie sa fille avec un bras fraichement réparé d’une vilaine cassure et on se fait transporter en haut de 400 mètres de pente. Les roues en bois sur une route pleine de cailloux et de nids de poule, ça brasse ! On pourrait croire que de faire du vélo à Montréal m’aurait préparée, mais non. Ça bouge tellement que je vois à peine la route. Malgré tout, je nous amène en bas saines et sauves !
Sur le chemin du retour, on s’arrête prendre une bière chez Marcel qui, en bon agriculteur retraité, a un potager de légumes thaï et français. Sur son portail, un drapeau bleu blanc rouge sur lequel est écrit « chez nous ». Il nous sort une carte de la France datant de 1957 et un vieux calendrier de la poste pour qu’on se montre nos villes de provenance. Je suis partout et ailleurs.






CHIANG RAI
ET AUTRES EXTRAVAGANCES
Janvier 2014
Le confort de la maison de Daniel et Mukkta était agréable, mais j’ai hâte de prendre la route. Mon sac à dos me démange. Je me suis acheté un billet de bus pour Chiang Khong à la frontière avec le Laos. La communication n’étant pas évidente avec les autochtones, j’ai opté pour la facilité et ai pointé du doigt, dans une sorte d’agence touristique, une pancarte avec écrit le nom de ma destination. « Ok miss, wait tomorrow at the McDonald at 9 in the morning ». « Sabaïdi » (ce qui veut dire merci en thaïlandais). McDonald. Ça fait pas très rêve d’Orient. Ce clown est vraiment partout.
Au matin, Daniel me dépose au dit restaurant, je le remercie pour tout, il me souhaite bonne chance, puis s’en va. J’ai l’impression d’être seule pour la première fois, ce qui est à la fois excitant et épeurant. Ai-je bien compris mon lieu de rendez-vous ? Même avec nos deux accents imposants, McDonald se dit pas mal de la même façon dans toutes les langues. Mon billet et couvert de signes que je ne comprends pas. J’ai beau le fixer, ça ne fait pas plus de sens.
Finalement mon transport arrive. Une espèce de grosse van d’où sort un homme qui prononce plus ou moins mon nom. Il prend mon sac en réponse à mon hochement de tête timide et le jette à l’arrière, tout en m’invitant à rejoindre d’autres non locaux perdus à l’intérieur. Première leçon quand on réserve un transport dans l’Asie du sud-est : doubler la durée de trajet annoncée. Deuxième leçon : des arrêts il y aura, prévus ou non. C’est ainsi qu’on laisse notre chauffeur nous entraîner dans un restaurant au milieu de nulle part manger une soupe dont on ne veut pas connaître les ingrédients, puis au Wat Rong Khun, aussi appelé le temple blanc, près de Chiang Rai. Je pensais que mes errances dans la ville ville de Chiang Mai m’avaient apportées la connaissance absolue en matière de temples thaïlandais, mais rien ne m’avait préparé à ça. On se retrouve devant un édifice plus blanc que les dents des acteurs de pub pour dentifrice. C’est comme une absence de couleur, un espace que la vie aurait oublié de colorier. Le chauffeur nous fait descendre, mais sans indication de l’heure à laquelle le bus va repartir, alors on reste groupés. Comme ça au pire, on sera perdus ensemble.
On suit donc la foule, presque en se tenant par la main, vers la blancheur. À la fin du 20ème siècle, l’artiste Chalermchai Kosipipat a décidé de rénover ce temple qui tombait en ruine, et d’en faire un hommage au roi Rama IX et à la ville de Chiang Rai. Le projet n’est pas encore fini, mais déjà on peut observer le travail dont le blanc représente la pureté du bouddhisme, et, des milliers de bouts de miroirs étincelants, l’illumination. On accède au temple principal par un petit pont sous lequel des centaines de mains essaient d’attraper nos pieds. Elles symbolisent les damnés qui ont succombés aux tentations et aux vices, et nous déconseillent fortement d’en faire autant. J’en ai presque l’impression d’entendre ces êtres souffrir et tenter de se sauver. Seules les âmes pures auront accès au lieu saint. L’intérieur en ai presque banal en comparaison. Des représentations de Bouddha et autres divinités. À côté se trouve un temple magnifique recouvert d’or, mais le souvenir de cette rivière de mains tendues ne me quitte pas et j’ai hâte de retourner dans le bus.
À Chiang Khong, on m’indique un autre bus qui mène à la frontière. Personne ne vient ici pour une autre raison que de partir de l'autre côté, alors je continue à suivre le flot, jusqu’à ce qui ressemble à une vente aux enchère désorganisée. Il faut remplir un formulaire pour le visa et le donner à un garde. Si on a pas de photo d’identité, il faut payer 40 baths d’extra pour la photocopie de notre passeport. Un autre gars nous appelle et nous fait payer le visa selon notre nationalité. Français : 30US$, Canada : 42US$... Sur le chemin, on paie ensuite un autre dollar juste parce qu’il est passé 16h30. Derrière la douane, la circulation redevient à droite (la Thaïlande partage avec l’Angleterre l’idée absurde de conduire à gauche) et un tuk tuk mous amène à Huay Xai. Dans le véhicule chaotique, je rencontre deux québécoises, avec qui je partage une chambre d’hôtel. J’en avais réservé une dans une auberge, mais dans cette partie du monde ils ne sont pas forts pour les plans, ni pour les adresses d’ailleurs, et j’abandonne assez vite de la trouver.
Une fois le désordre des dernières heures oubliées, on se trouve un restaurant au bord de l’eau, dont le menu traduit en anglais me fait beaucoup rire. Ici on sert des fried vegetarian et des noodles with vegans. Puis ça nous frappe. On est au bord du Mekong. L’année dernière j’ai fait la rencontre du chaleureux Mississippi, et aujourd’hui c’est le tour du mystérieux Mekong, sur lequel mon imagination fait voguer des bateaux à vapeur tenant lieu de tripots, des jonques remplies d’opium et Indiana Jones sur un radeau à la recherche d’un temple maudit. En ce moment, il fait nuit, mais je suis sûre qu’il y a une chimère, tout près.

