ISLANDE
FABRICATION D'UNE FORÊT
Juillet 2022
En général je ne me fie pas aux alentours des aéroports, souvent sans saveur et peu représentatifs de la ville d'atterrissage. Mais c’est pas loin de la sortie de Keflavik que l’Islande fait les présentations. Le trajet en bus vers Reykjavik est un grand et beau vide peuplé de détails géologiques. D’un vert lumineux malgré le temps gris, l’obscurité de la terre, et des pylônes électriques qui me semblent tout petits. En arrivant en ville, les bâtiments aux étages timides donnent un poids au ciel bas. On est mi-juillet et il fait 13•C. Déjà qu’ils ont un mois d’obscurité l’hiver, peut-on leur donner un été?
Je suis venue pour participer à un programme de reforestation à une heure de la capitale.. Les générations de coupes de bois de construction et de chauffage ont eu raison de ce sol volcanique qui vit au ralenti. Comme un bon insulaire, il prend son temps, fournit peu de nutriments aux racines, sans compter les conditions climatiques proches de l'arctique. Le premier jour, on nous fait visiter un terrain replanté. Narfi et Einar sont si fiers de leurs petits arbres qui mettront trente à quarante ans pour devenir adultes. Nos pas s’enfoncent dans la mousse épaisse qui semble couvrir le pays et on rencontre la surpopulation de moucherons, très intéressée à nos yeux, narines et oreilles. Avant de penser à planter un arbrisseau, il faut préparer le terrain, lui fournir des herbes, des racines, et souvent ici, du lupin. Le lupin est une formidable plante envahissante assimilatrice d’azote. Ce cauchemar pour les sols fertiles est une bénédiction pour cette terre noire volcanique. On nous apprend à comprendre le relief du sol, sa cohabitation avec le vent, la pluie et le gel, mais l’emphase est surtout donnée sur la lutte contre l'ennemi numéro un de la végétation du pays: le mouton. Prêt à dévorer tous les fruits de notre travail, ces ogres laineux sont le fléau de l’île. Laissés libres tout l’été par les bergers, ils obligent les maraîchers à investir dans de grandes clôtures pour protéger la flore goûteuse.
Nous allons planter des bouleaux, épicéas, pins et sapins. Des études ont révélé que le climat islandais s’apparente à celui de l’Alaska. Des années de tests essai/erreur ont conclu à ces espèces… Einar s’arrête net. Il aperçoit une pomme de pin bien accrochée à une branche. Rempli d’émotion, il nous dit que c’est la preuve de la maturité sexuelle de l’arbre. Il prendra maintenant soin de sa descendance. Va, forêt. Vis de tes propres épines.
Notre terrain nu à repeupler est une belle plaine légèrement vallonnée couverte d’une mousse d’un vert perçant qui fait des vagues végétales. Des montagnes donnent une limite à l’horizon. On se rend compte qu’on fait complètement l’inverse du mouvement leave no trace. On déplace la mousse, on fait un trou dans la terre, et on y jette de l’engrais. Mais on espère que dans ce cas-ci, on efface les traces des premiers à avoir défiguré le territoire. On avance en zigzag sur cette mousse à mémoire de forme, et je me demande combien de temps ça va prendre à cette immensité duveteuse à devenir une forêt. Quelle épaisseur on aura réussi à lui donner. Qui va venir s’y promener.
L’avantage du soleil de minuit, c’est qu’il laisse du temps pour les visites après le travail. Il met à mal l’horloge biologique, mais il rajoute des heures à la journée. Et un chose qui ne manque pas dans le coin, c’est des chutes d’eau.
Gulfoss est une belle cascade toute en largeur parsemée d’arcs-en-ciel. Elle est juste à côté d’un parking, ce qui la rend très achalandée, et il y est un peu difficile d’entrer en contact avec l’environnement, mais c’est aussi bien qu’il soit accessible à du monde qui ne peut pas marcher une heure en montée.
Seljalandsfoss est grande et fine, et a la particularité d’offrir un chemin qui passe entre la paroi et l’arrière de la chute. On s’y sent écrasé par le bruit de l’eau qui s’effondre sur le sol, et en même temps on est abasourdi par sa généreuse violence. On ne sait plus où s’arrête la pluie des nuages, où commence celle de la cascade, ni comment l’air s’immisce là-dedans.
À quelques kilomètres plus vers les terres, il y a Nauthúsagil. Celle-là elle se mérite. On n’est pas trop sûrs du chemin qui s’enfonce dans une gorge qui semble ne mener nulle part. Mais on n’est pas pressés, ni par le prochain coucher de soleil dans quelques semaines, ni par la pluie à laquelle on ne prête plus attention. Au fond, il y a une petite mais fascinante chute. Le ciel gris clair éclaire les parois mousseuses, et ce filet d’eau mérite sa place dans les trésors de cavernes secrètes.
Les montagnes appellent évidemment à la randonnée. La première qu’on nous conseille est Glymur. C’est un beau sentier qui s’élève progressivement dans un canyon. On est pris entre deux flancs de montagnes, proche d’un précipice tout sauf menaçant, mais plutôt charmeur. Il nous dirige vers deux cascades, dont une est grandiose. Un de mes acolytes nous dit se sentir mal pour la plus petite, qui se fait à peine regarder par rapport à la deuxième. Au sommet, on doit traverser une rivière froide qui fait du bien aux pieds, jusqu’à ce qu’on ne les sente plus. Difficile d’avancer avec deux poids morts au bout des jambes. Mais on ne peut pas en vouloir à cette eau qui descend des glaciers pour aller faire une chute vertigineuse quelques mètres plus loin.
Le parc Þingvellir est pour moi fascinant, étant la rencontre entre les plaques tectoniques de l’Europe et de l’Amérique, mes deux maisons. Ici, j’arrive à être un peu aux deux endroits en même temps. L’Europe tente de passer sur L’Amérique, où l’Amérique sous l’Europe, à moins que ce ne soit d’un commun accord, créant un mur de roche imposant qui représente la vie de la croûte terrestre.
Pour nous rendre à Þórsmörk, on se rend à Hella, où un autobus aux roues surdimensionnées nous attend. On a hésité à y aller par nous-même avec notre pick up, et les premières rivières à traverser ne sont pas si terribles. Mais quand on arrive aux torrents qui font tanguer les bus en avant de nous, on se dit que les 100$ en valait la peine. Il nous dépose dans un petit village de camp de jour qui a l’air de cacher un secret. On le découvre vite en suivant le sentier jusqu’à un gigantesque couloir de glace devenu roche, longé de chaînes de montagnes des deux côtés. La montée est ardue, mais ça prend pas de temps pour que ça en vaille la peine. Un mélange de vert, de noir et de blanc acéré qui s’étend jusqu’à l’apparition du glacier Mỳrdallsjökull, qui lui-même se perd dans l’horizon.
C’est la première fois que je peux me tenir au pied de la montagne. Dans ce pays, les montages émergent très droites du sol complètement plat aux abords de l’océan. Elles ont dû être posées là par un viking, ou bien Thor lui-même, pour agrémenter un peu la promenade.
Et sur certaines de ces montagnes, il y des déserts blancs saupoudrés de noir. Grands comme des métropoles, ses langues descendent le long de ces reliefs de lave séchée. Leur vue donne froid, une impression de plancher désarticulé, de repères perdus, et pourtant ils fascinent, attirent.
Le premier que je vois est lors d’un road trip initié par Narfi, notre instructeur islandais, qui aime son poisson séché qui ressemble à une éponge à l’odeur de marée basse. Il veut nous montrer des forêts replantées. Il nous raconte l’évolution des recherches pour trouver les espèces parfaites pour le sol et le climat. Et puis ça vous tente d’aller un peu off road? OK! On le suit comme on peut vers un paysage désertique (je conduis un des pick up aujourd’hui). On s’arrête devant une rivière à fort courant. On regarde tous Narfi y avancer les pieds dans l’eau froide, les mains dans les poches, s’arrêter quand il en a au niveau des genoux, se retourner vers nous, et dire un OK nonchalant en haussant les épaules. Et le voilà qui fait traverser son auto jusqu’à la rive suivante. Pas d’autre choix que de le suivre, pied au plancher! Puis nous arrivons à la vue sur le glacier. On peut voir la désolation des terrains non protégés dévorés par les moutons ogres. La glace blanche de Langjökull, tachée de cendre, rend compte de la grande partie inhabitée du pays, et en même temps si fragile.
À Jökulsárlón, le glacier Falljökull a formé un lagon par sa fonte qui se jette dans l’océan. Le canal entre les deux est trop petit pour que les orques y passent, rendant le bassin un terrain de jeu sécuritaire pour les phoques. L’eau salée s'immisce elle aussi, et se mélange à l’eau douce de la glace fondue. Des icebergs flottent allègrement. Ils mettent de deux à cinq ans pour se liquéfier complètement, rongés par le sel par en-dessous. Régulièrement, il se retournent pour découvrir leur partie d’un bleu ciel translucide qui blanchit en une vingtaine d’heure. On a de la chance, on voit une de ces beautés de la nature.
Un réconfort commun au pays, c’est la piscine municipale. Et en Islande, avant de s’immerger dans une piscine, il faut se laver, nu, entièrement, en groupe. C’est une règle qui, bien que pleine de bon sens, est difficile au premier abord. Il n’y a pas de cabines dans les vestiaires, pour quoi faire. À certains endroits, il y a même des employés qui vérifient que tu ne fais pas semblant de te laver. On s’interroge sur les questions d’entrevue d’embauche. La gêne se dissipe vite devant la multitude de types de corps présents. La baignade est une activité familiale impliquant les jeunes, les vieux, les maigres, les bien portant et j’en passe. On se répartit entre le bassin pour faire des longueurs et les bains chauds. À l’occasion, on va se donner un coup de fouet dans un tonneau rempli d’eau à 7•C.
Pour une baignade en nature, les sources chaudes d’Hveragerði sont à une heure de marche de la ville du même nom. La balade est agréable, parsemée de petites cheminées de vapeur. La géothermie est une grande puissance du pays. Elle émane de partout comme des cocottes minutes silencieuses. On aperçoit des gros amas de vapeurs au loin, puis un ruissellement d’eau qui brille au soleil rasant. Ça sent le soufre, mais ça n'entache pas la beauté de l’endroit. L’eau est tellement chaude qu’il est difficile d'y entrer. Quand on se sent bouillir, on va faire un tour dans le ruisseau glacé juste à côté. La terre de feu et de glace n’est pas une légende.


































