BOLIVIE
LA CRÊTE DU PARADIS
Février 2016
Aujourd’hui est le jour où je vais enfin fouler le sol Bolivien. Je n’en connais pas moi-même la raison, mais ce pays et son nom me font rêver depuis quelques années. Peut-être parce que j’ai lu la biographie du Che Guevara qui y finit sa vie (à son insu), ou bien par les photos instagram colorées d’amis voyageurs, ou encore la sonorité du nom qui est mélodieuse.
C’est en bus que je passe la frontière, entre Puno et Copacabana. Le chauffeur nous répète plusieurs fois qu’il nous donne vingt cinq minutes pour passer de l’autre côté. C’est que, monsieur, on est tributaires de la file d’attente, impuissants devant le système légal de votre pays. Hurry up ! Ok.
Ça nous prend une heure, ce qui est assez rapide tenant compte de la quantité de monde présent, désireux de franchir cette ligne géopolitique. De retour, dans le bus pendant que je me rends compte que je viens de passer illégalement des bananes à la frontière, d’autres remarquent que le douanier a soit inscrit une mauvaise date sur leur visa, soit complètement oublié de tamponner leurs passeports. On se penche alors tous en même temps pour vérifier nos papiers, mais le chauffeurs hausse nonchalamment les épaule et nous dit que ça arrive.
Le monde dit souvent préférer Copacabana à Puno. Je l’explique par cette grande rue principale remplie de restaurants et magasins de types nord-américains, où il fait bon de flâner. Mais si on s’éloigne un peu, on peut trouver plein de rues charmantes dépourvues de gringos et aux mini restaurants de nourriture locale.
Le tenancier de notre hôtel un peu excentré, et donc vide, a, tel un gangster dans Scarface, une barre dorée à la place de ses dents de devant; ce qui ne l’empêche pas d’avoir un fort capitale sympathie. Il est content d’avoir des clients et nous montre avec son large sourire en or notre chambre, dont les lits sont recouverts de couvertures animalières. Une avec un grand dauphin joueur, l’autre avec un tigre impérial.
Avec Sarah, on met encore nos corps soumis à l’altitude à l’épreuve en montant une colline du haut de laquelle il est recommandé d’observer le coucher du soleil. Nos esprits un peu fatigués se sont perdus dans le décalage horaire d’une heure par rapport au Pérou. Le soleil se couche ici une heure plus tard, et non plus tôt. On arrive donc deux heures d’avance au sommet. Alors on s'assoit et on regarde le lac, à côté d’une néo zélandaise et d’un canadien avec qui on s’entend tellement bien, qu’on en oublie de regarder le-dit coucher de soleil, qui finit par se cacher derrière un banc de nuage de toute façon.
On prend plus tard un bateau pour se rendre sur Isla del Sol, l’île du Soleil. Une légende dit que le lac Titicaca est le berceau du premier Inca qui aurait surgit de ces eaux. Il aurait créé le soleil et lui aurait commandé de se lever derrière cette île, qui porte maintenant son nom.
On trouve une auberge des plus charmantes avec une vue magnifique. Un chemin nous amène à un ponton, endroit idéal pour se baigner dans ce lac mythique.
La nuit, tout est dépourvu de lumière et silencieux. Nous n’avons d’autre occupation que nos livres. De la pure sérénité.
Au matin, Sarah ne se sent pas très bien et préfère rester couchée, alors je pars seule traverser l’île. Faire du tourisme en basse saison a parfois ses avantages; je suis la plupart du temps l’unique utilisatrice de ce chemin de crête infini. Juste moi et le bruit de mes pas. Je me dépêche car on m’a estimé à deux heures la traversée, et j’ai un bateau à prendre en fin d’après-midi.
Chaque fois que je pense être arrivée au bout, un autre morceau de l’île se dévoile, mais c’est stimulant de voir tout ce chemin parcouru du haut de mes seules jambes. Je longe tantôt une forêt d’eucalyptus, tantôt des champs de pierres. Des ruines jonchent parfois le chemin, lui donnant encore plus de prestance. Après une pause banane bien méritée, comme je ne vois pas de poubelle et qu’une peau de banane, c’est biodégradable, je la jette au loin, geste instantannément suivi de bruits de pas de course. C’est un troupeau de moutons qui sort de nulle part et court vers ce bout jaune. J’espère que ça ne leur fera pas de mal!
Pour le retour, je choisis de longer la côte, un peu plus peuplée. Des plages sont séparées de chemins rocheux ou forestiers. Le paradis. Mais ne nous attardons pas, j’ai un bateau à prendre.








LA PAZ
LA CHARMEUSE
Février 2016
J’ai un mélange d’appréhension et d’excitation en me rendant à La Paz. Elle est décrite dans tous les guide comme une ville potentiellement dangereuse, mais aussi pleine d’activités passionnantes. Le nom en lui-même appelle à l’imagination.
L’arrivée en bus offre une vue sur toute la ville. Elle tient dans un grand bol, partie d’un canyon entre les montagnes. Les maisons à n’en plus finir des deux millions d’habitants recouvrent complètement le sol.
Sarah et moi nous frayons un chemin avec nos trop gros sacs sur le dos dans une foule plus indifférente que hostile. La ville vibre et je suis déjà sous le charme. Une fois notre bardas posé, on se perd dans les dédales des rues envahies par des centaines de mini-stands de linge, bibelots et diverses marchandises. Rien n’a vraiment de valeur de souvenir au grand malheur de Sarah, mais je trouve le tout fascinant. Le marché paraît sans fin et donne envie de s’y perdre complètement. À l’encontre des conseils de mon acolyte, je m’aventure à manger de la nourriture de rue et à boire un jus d’orange merveilleux pressé devant mes yeux sur un presse agrume qui, j’avoue, n’est peut-être pas dans les normes sanitaires. Mais, au pire, j’ai le temps d’être malade demain, puisque c’est jour de référendum, et que la ville est en pause.
Le président actuel, Evo Morales, en est à son deuxième et dernier mandat possible selon la loi. Il invite les citoyens à voter en faveur d’un changement de constitution pour lui permettre de se présenter une troisième fois. Le non va l’emporter avec un taux de participation de vote de 87% (bravo Bolivie). Il va pas être content.
En tout cas, il n’y a rien d’ouvert en ce dimanche de référendum. Mon estomac tout à fait en forme et moi avons du mal à trouver de la nourriture, et prenons encore des risques culinaires, avec succès. On profite de cette journée de repos forcé pour s’asseoir dans la magnifique cours fleurie de notre auberge et préparer la suite de notre voyage. Un achat de billet d’avion en ligne provoque, encore, un blocage de ma carte de crédit (comme à chaque voyage, celui-ci battant les records). J’appelle ma banque, encore, à mes frais, encore (le numéro sans frais à des conditions non applicables par ici). Mon interlocuteur me raconte que la banque se méfie de toutes ces opérations effectuées dans le sud de l’Amérique (je vous avais pourtant prévenu) et me conseille, au cas où, de ne pas prêter ma carte à personne. Oui monsieur.
Ça y est, le non est voté. Au programme aujourd’hui: la Death Road. Construite dans les années 1930, elle a longtemps été le seul lien entre La Paz et la forêt amazonienne. Elle représente 80 kms sur 1000 mètres de dénivelée. Cette route de terre de montagne est large de trois mètres et est soumise à des brouillards et pluies régulières, qui favorisent les glissements de terrain. La moyenne des morts s’évaluait à une par jour.
Aujourd’hui, elle est essentiellement utilisée comme piste de vélo de montagne pour touristes. Sarah m’en parle depuis des jours. Et bien que le vélo ne fasse pas du tout partie de mes passions, j’ai envie de le tenter. Notre guide est un australien baroudeur qui donne l’air de ne pas s’être posé nulle part depuis un long moment. Il nous fait signer une décharge qui dit que la mort fait partie de la vie, que l’ambulance est à nos frais et demande qui contacter en cas d’urgence. Pas très différent de ce que j’ai dû signer quand on m’a retiré mes dents de sagesses.
En haut de la montagne, on nous fait revêtir nos habits de bikers et on nous présente notre vélo. J’ai l’impression de n’en avoir jamais fait. Ce nouveau véhicule est lourd et difficile à manoeuvrer. Et il fait frais à 5000 mètres d’altitude!
On commence par vingt ou trente kilomètres de route goudronnée, de quoi s’habituer à mon nouveau compagnon de route. Je me retrouve avec un peu de fierté en milieu de peloton, entre les experts et les craintifs. Le paysage est fabuleux!
On passe ensuite aux choses sinueuses, sur chemin de roche. Ça change la donne. Des dérapages plus ou moins contrôlés animent le trajet jusqu’à la véritable route de la mort. Le chemin, large comme un camion, est parfois bordé d’un précipice. Bizarrement, ça ne me fait pas si peur. Le plus gros défi est de ne pas se laisser absorber par le paysage et de garder les yeux sur la route. On passe régulièrement sous des cascades irréelles. Les poignées de vélo me font mal aux mains et les muscles de mes bras sont douloureux, mais c’est pas grave, je ne veux pas que ça finisse. On croise des papillons d’un bleu encore jamais vu. La température montante en même temps que nous descendons nous fait enlever des épaisseurs.
Au bout de la ligne, on passe la soirée dans un refuge pour animaux, où nous sont offerts une bonne douche chaude et un bon repas.
Ça s’écrit sur un CV, “a survécu à la route de la mort”?
On avait assez hâte d’assister à un match cholitas luchadoras, des lutteuses qui combattent en tenues traditionnelles. Malheureusement, on s’est trompées de jour et il n’y en a pas aujourd’hui. À la place, on prend un téléphérique qui domine la ville et nous emmène vers un cimetière. Je ne sais pas quand les cimetières sont devenus une attraction. J’en ai visité de magnifiques à la Nouvelle Orléans et à Turin en suivant des conseils, et me voici dans un autre d’un genre totalement différent. On y trouve essentiellement des cages à urnes par centaines, toutes décorées de fleurs séchées. La mort, ici encore, fait partie de la vie. Si l’idée me vient d’aller visiter la tombe de ma grand-mère, je l’entend me dire que je perds mon temps. Mais ici l’espace est rempli de visiteurs venant apporter des offrandes aux défunts. Les enfants se font apporter des jouets et leurs sodas préférés, les adultes des fleurs et des bijoux. L’espace a une odeur florale et est parsemé de pétales qui se promènent. Il y a peu de signes religieux, plus des figurines qui nous font signe de la main et laissent parfois échapper des notes de musique.
Il est temps de quitter la ville. On attend le taxi que j’ai demandé à la réceptionniste de l’auberge d’appeler. Une attente prolongée et des questions nous amènent à l’évidence, elle nous a oublié. Elle court alors dehors sous la pluie battante et sa collègue fonce vers le téléphone. Quinze minutes plus tard, rien ne se passe. Je demande à la réceptionniste ce qu’il en est. Ah oui, je vous ai pas dit, j’arrive pas à joindre personne. On se retrouve alors comme deux pauvrettes à essayer de trouver un taxi de libre au milieu des manifestations post référendum, trempées jusqu’au os. Par miracle on en trouve un qui nous surcharge, mais on est pas en position de négocier. Bloquées dans le trafic, on prépare notre discours pour la réceptionniste, lui expliquant qu’elle nous doit le prix du taxi, et du bus qu’on est en train de rater.
Deuxième miracle, on arrive in extremis avant le départ. Prochaine étape, le désert de sel d’Uyuni…












SALAR D'UYUNI
LA DIVERSITÉ DU DÉSERT
Février 2016
Je suis loin dans mon sommeil quand le chauffeur du bus crie “Uyuni !” à 6h du matin. Et on en sort à peine qu’on se fait harceler par les vendeurs de tours organisés. Avec ma compagne de voyage Sarah, on a décidé de prendre une journée en ville pour explorer les options. Partir dans le désert est une affaire qui semble sérieuse, et on ne veut pas suivre n’importe qui; alors on essaie de trouver un hôtel entre le réveil difficile les démarcheurs oppressants.
Uyuni est un village construit au milieu d’un vide végétal, en maisons couleur terre et aux rues de poussière mouillée. Les fortes pluies de la veille inondent encore le passage et mettent à l’épreuve mes nouveaux souliers de montagne. Test réussi, c’est rassurant.
Devant la forte offre de tours organisés qui promettent chacun des merveilles, on finit par suivre les recommandations d’un collègue. J’ai assez hâte; tout ce voyage est basé sur une photo que j’ai vue de ce désert, sur les réseaux sociaux d’un suédois rencontré au Panama quelques années plus tôt. Tandis que j’étais rentrée dans la neige québécoise, il avait poursuivi son chemin vers le sud. Sur cette photo, il était assis, le visage heureux et paisible, sur cette immensité blanche.
Le soir, en faisant les préparatifs de notre excursion, on s’aperçoit qu’on est à cours de quelque chose d’indispensable en tant qu’occidentale en Amérique du sud: du papier toilette (eux autres ne s’embêtent pas avec le nettoyage). Je me porte volontaire pour aller en chercher; je n’ai pas assez marché aujourd’hui. Comme le magasin au coin de la rue n’est pas assez loin, je poursuis vers les stands de rue, où j’aperçois une toute petite vieille dame, avec un oeil aveugle et l’autre presque opérationnel. Elle est assise au milieu de dizaine de rouleaux. Quand j’arrive assez proche pour qu’elle me voie, elle me sourit de sa grande bouche avec peu de dents, et je la rends heureuse avec mes quatre bolivianos contre deux rouleaux. Juste pour ça ça valait le coup de me lever ce matin.
On se lance pour trois jours dans le désert ! Avec nous, il y a Marica et Julie, la première allemande et l’autre autrichienne, toutes deux de 18 ans, bénévoles à Buenos Aires pour un an. Nous accompagnent aussi Haidi, une allemande de 58 ans, et Larry, New Yorkais de 61 ans. Guido dirige notre groupe. Le petit problème est que Guido ne parle pas vraiment anglais, mais les trois filles parlent bien espagnol et nous traduisent la visite. Il s’avère assez vite que Marica et Julie ne sont pas des bavardes, et que Heidi et Larry n’ont pas bien compris qu’on ne se lance pas dans une croisière cinq étoiles. Ils aiment mettre leurs âges respectables en avant, et on aime rouler des yeux devant leurs jérémiades. Ça rajoute du piquant comme on dit.
C’est le départ. Après dix minutes seulement, on s’arrête dans un cimetière de trains. La ville était autrefois une plaque tournante dans le transport de minerais vers l’océan Pacifique. Les ressources étant maintenant épuisées, les trains ont été peu à peu abandonnés ici, en attendant que des fonds soient débloqués pour en faire un musée… depuis des dizaines d’années. Je me trouve devant dix ou quinze locomotives rouillées, trouées, délaissées, mais toujours grandioses. Je monte sur l’une d’elle pour avoir une vue d’ensemble; en face: juste l’horizon, comme une mer de sable parfaitement délimitée par le ciel en ligne droite. De quoi croire à la théorie de la Terre plate.
Après un autre bref arrêt dans un mini village construit pour vendre des statues de sel, on remonte dans le 4x4 pour environ une heure, avant d’arriver au fameux et tant attendu salar d’Uyuni. Il s’est formé suite à la disparition du lac Taura il y a 14 000 ans, qui a laissé derrière lui cette croûte de sel la plus grande au monde. Je n’avais vu que des photos du désert sec. Ce que je ne savais pas (parce que j’étais pas assez préparée encore une fois), c’est que de janvier à mars, durant la saison des pluies, le sol est recouvert d’une fine couche d’eau appelée le lac-miroir. Il reflète parfaitement le ciel et ses nuages, et quelques montagnes parfois visibles au loin. Les 4x4 semblent flotter dans les airs. Je pourrais regarder ce paysage pendant des heures sans me lasser.
On s’arrête pour manger dans un hôtel de sel. Il n’accueille plus de visiteur pour la nuit malheureusement, à cause de l’inévitable envie de beaucoup de touristes de dégrader la beauté. Pendant que Guido cuisine, on se promène pieds nus sur ce lac extraordinaire. À côté il y a une monument, de sel encore, créé pour le Paris-Dakar qui va bientôt passer par là. Étrange, non ? Le sol est rêche et irrite parfois la plante des pieds, mais l’eau est chaude et fait du bien. Quand elle sèche sur notre peau, elle y laisse une croûte blanche. Des petits tas de sel, qui ressemblent à de la mousse, vogues à la surface. Ces amas sont faits de petits cubes parfaitement carrés, avec un trou en étoile au milieu. Il est difficile de croire que c’est naturel. La Nature sait très bien travailler par ici.
Dans l’après-midi, on se trouve un coin photo. La jeune génération du groupe y va à coeur joie des effets de perspective en tout genre. Les plus âgés s’ennuient. Avec Sarah, après quelques tentatives d’égaler les plus jeunes dans leur imagination photographique, on s'assoit sur le capot de la voiture et on observe. Je n’aurais jamais cru que le désert ait tant de détails à observer; le sol, le ciel, l’horizon… Tout est parfait.
Un centaine de kilomètres plus tard, on entre dans Culpina pour y passer la nuit. C’est une ville de travailleurs de la mine d’argent voisine. Derrière la charmante église, se trouve l’incontournable terrain de foot où des enfants sont rassemblés pour profiter des derniers rayons de soleil, à côté d’un troupeau de lama. Peut-être sont-ils invités à jouer parfois. Je cherche à m’acheter une bière pour clôturer cette belle journée. Je me rends dans ce qui ressemble à un magasin, et demande avec mon maigre espagnol s’ils en ont. Une madame se lance dans un long monologue que je ne comprends pas, et m’amène dehors devant une porte et me demande d’attendre. Enfin je crois. Après une minute, elle apparaît derrière ladite porte qui à l’air d’appartenir à un restaurant. Elle me vend une Corona, butin incroyable étant donné leur pisse de chat que les boliviens appelle bière locale. Merci madame!
Le deuxième jour de l’épopée fantastique dans le désert d’Uyuni commence avec un déjeuner à 7h, au grand malheur de Larry, qui a essayé de le repousser au nom d’être en vacances. Larry, t’es lourd. Haidi décide que le mal des transports de Sarah n’est pas une raison suffisante pour monopoliser le siège passager à l’avant, et que son âge avancé a plus de poids. Haidi, t’es lourde.
Notre premier arrêt est une forêt de roches volcaniques projetées jadis par un des nombreux volcans de la région, maintenant éteint. C’est impressionnant de voir cette plantation de corps noires dans ce paysage blanc, comme des boules de pétanque d’une équipe de géants. Ça doit être nous les cochonnets. Un peu plus loin, il y a un lac tout noir où se promènent quelques flamants roses. La température est douce et agréable, mais notre souffle court nous rappelle qu’on est à 3600 mètres d’altitude.
Le repas du midi se fait à une table sous un toit en paille, qui apparaît comme par magie dans l’immensité. Guido arrive toujours à faire des merveilles avec des commodités restreintes. Bravo Guido. Pour digérer, il nous emmène au bord d’un lac rose. Ce désert renferme décidément toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Celle-là est due au plancton qui l’habite, et qui donnent aussi leur couleur aux flamants qui sont penchés, becs dans l’eau, pour s’en nourrir. Ils sont des milliers, immobiles comme des plantes. Ils ne bougent que parfois pour redresser leur cou, pour mieux faire descendre leur repas. De temps en temps, l’un s’envole en déployant ses immenses ailes rose pâle aux ongles noirs. Des bagarres éclatent à l’occasion et on aimerait bien comprendre ce qu’ils se disent.
Notre auberge pour la nuit est un vrai hameau dans le désert, alimenté en énergie par des panneaux solaires. À plusieurs on décide d’aller se dégourdir les jambes après avoir passé la journée assis, mais le vent se lève, et pas qu’un peu. Je me retrouve bientôt seule à errer sur le sol volcanique, à me rendre compte que je suis en train de vivre un moment hors du commun. Le sol craque sous mes pieds, le vent raccourcit mes pas, et je ne voudrais pas être ailleurs. La nuit et sa température descendante me font rentrer à contre-coeur; je suis quand même dans le désert, il faut être prudente.
En buvant notre thé quotidien, on observe Guido et les autres guides laver de fond en comble la carrosserie des voitures, comme tous les soirs, à cause du sel. On est très contents d’avoir bien choisi notre agence (Cordillera Traveller), car on a régulièrement croisé des véhicules en panne, en attente de secours. Il y a un temps pour être radin, et un temps pour acheter la sécurité.
Le repas est animé par tout un groupe de dix-huit brésiliens aux discussions enflammées mais entraînantes (même si on ne comprends rien). Heidi se plaint évidemment du mal des montagne. On essaie de la rassurer, de lui expliquer qu’on est tous passés par là et que ça va s’améliorer, mais bien sûr, elle souffre plus que tout le monde. De son côté, Larry devient tout blanc quand Guido annonce qu’on doit partir à 5h demain matin pour voir le lever de soleil sur des geysers. Il ne comprend pas le besoin, puisque les geysers seront là toute la journée. On ne comprend pas pourquoi il a signé pour ce tour. Larry, t’es plus que lourd.
Je suis déjà couchée quand Sarah vient me chercher pour aller voir les étoiles. Je n’avais pas aperçu la voie Lactée aussi clairement depuis que j’étais petite, dans la maison de campagne de ma grand-mère dans le trou du cul du Jura. Il y a tant d’étoiles que le ciel est éblouissant pour les yeux. Je cherche la grande Ourse comme une grosse niaiseuse, avant de me rappeler que je suis dans l’hémisphère sud… Ce sont de nouvelles étoiles.
Dernier jour de l’épopée fantastique ! Le réveil est difficile à 4h15, mais l’arrivée aux geysers Sol de Manana fait tout oublier. Le spectacle est incroyable ! Des cheminées de fumée émergent du sol; certaines hautes et puissantes, d’autres plus subtiles et enrobantes, le tout à contre-jour dans une pénombre bleutée. Je contourne les mini cratères bouillonnants (à 90·C) pendant que des gars s’amusent à sauter par-dessus des cheminées qui confisquent leurs chapeaux. Les vapeurs ne sont pas chaudes comme je pensais, mais dégagent une odeur d’oeuf pourri. Le soleil levé indique qu’il est l’heure de partir. Au revoir cheminées mystiques, cratère de volcan, on retourne en voiture.
On se dirige maintenant vers un bain thermal. En me levant trop tôt ce matin, et en voyant la terre gelée dehors, je n’étais pas convaincue de l’utilité prochaine de mon maillot de bain. Mais en arrivant à ce bassin dont l’eau dégage de belles vapeurs, devant ces montagnes désertiques éclairées par un soleil à peine levé, je change d’avis. L’eau est à température idéale, et on dépasse, non sans le faire exprès, le temps alloué à cette activité.
Cap vers la frontière. Le bureau de sortie du territoire bolivien est une petite maison de terre au milieu de rien, une minute dans un brouillard épais et la suivante dans un gros soleil, au-dessus d’un volcan pointu au chapeau blanc. La sortie est facile, moyennant quinze bolivianos (première fois que je paie pour sortir d’un pays). Guido nous attribue des bus. Les grincheux retournent vers Uyuni, les autres partent pour San Pedro de Atacama, au Chili. La route nous fait choisir entre deux options somme toute simples: à gauche, l’Argentine, à droite, le Chili. Devant nous, une nouvelle immensité aux teintes rouge-orange, une autre désert, une autre infinité.

















