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INDE
 

TREK DANS LE PARC NATIONAL HEMIS

Septembre 2023

      Ma première vision du Ladakh est mitigée. Je suis heureuse de quitter la ville d’Amritsar, où je viens de passer un mois fort sympathique, mais bruyant et pollué, pour aller me blottir dans les montagnes. Ma joie quand je les aperçois depuis l’avion est atténuée par la vision d’une terre brune au milieu d’un désert ocre dépourvu de toute note végétale. Un beau paysage beige dans tous les sens du terme. Une cuvette mornes aux bords monochromes. 

      Leh est une ville à 3500 mètres d’altitude, à la frontière avec la Chine. Une base militaire fait face à la sortie de l’aéroport, avec chars d'assauts et armes dont je ne veux pas connaître le nom. Pas de bus, pas de taxi, fait que j’ai une belle heure de marche jusqu’à mon auberge. La fraîcheur qui fait changement de la chaleur étouffante des dernières semaines balance avec le manque d'oxygène. L’effort ne me liquéfie plus, mais mon souffle est plus court. On ne peut pas tout avoir. Tout est différent d’Amritsar: l’air est plus frais, plus pur, la vie plus calme, les bâtiments plus ternes, mais ponctués des couleurs de moulins et de drapeaux de prières bouddhistes; le Tibet n’est pas loin. Les plats sont moins savoureux, mais les odeurs refont surface après un mois à moucher la poussière bloquée dans mon nez.

Leh est un point de départ à beaucoup de treks, et ça vient avec des rues pleines de visages pâles en proie à des commerces évidemment, mais sans acharnement. Les vitrines regorgent d'œuvres d’art surprenantes, de sculptures, tissages, bijoux et dessins. La culture bouddhiste est culturellement riche en tout. Riche aussi l’est le thé au beurre que je goûte enfin. C’est comme boire du beurre liquide, pas vraiment ma tasse de thé comme on dit. 

      En dehors de la rue névralgique du tourisme, je me promène dans les rues en labyrinthe, fines et gracieuses. Je teste mes globules rouges en montant l’escalier vers une stupa dans les hauteurs de la ville. Ils trouvent que je leur en demande beaucoup. Tranquillement pas vite on y arrive. Les montagnes au loin confirment qu’on est au bord de l’Himalaya. Encore un peu d'acclimatation, et je serai prête à entrer dans le parc national de l'Hémis.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SARA 

 

      C’est avec frustration et un égo brisé que j’abandonne l’idée de faire entrer toutes mes affaires dans mon sac 26L et commence à remplir celui de 55L. Il n’est certes pas plein, mais ça fait mal pareil. Je me dis que c’est à cause des quelques items que j’emporte pour ne pas les laisser dans l’auberge pas très sécurisée de Leh, mais dans le fond de mon être, je sais que le petit sac n’aurait pas suffit.

Sonamc, ma guide de la compagnie Ladakhi Women’s Travel, vient me chercher, avec son tout petit sac contenant nos deux lunchs, comme pour me ridiculiser en partant. Elle toute menue, aux yeux doux, porte un masque pour protéger sa peau fragile à la poussière, prononce les w de son faible anglais comme des v et parle du bout de la langue. La communication est difficile mais elle tient à faire la conversation. Ça va mieux quand on s’avoue chacune qu’on est très fatiguée aujourd’hui, demain sera plus collectif.

      J’apprivoise l’ocre petit à petit. Le désert a tout de même plusieurs facettes. Certaines roches ont l’air de pleurer une boue sèche, d’autres sont en ardoises striées. On évolue dans un canyon dans lequel coule la chaleur du soleil. Le chemin est plat et facile, parfait pour mon énergie du moment, pour laquelle chaque montée est éprouvante. Sonamc est souvent derrière moi, elle trouve que je marche trop vite. Enfant d’un peuple nomade ladakhi, elle a passé la majorité de sa vie au-dessus de 5000 mètres d'altitude. Elle a plus souvent marché en pente que sur du plat. Elle me questionne sur mes diverses randonnées, mais n’a jamais entendu parler de la moitié des pays dont je lui parle.

      On fait une pause thé sous une miraculeuse tente blanche sur un des rares terrains herbeux des alentours. C’est si agréable et doux après la rudesse de la poussière ensoleillée. Des peluches de laine locale à l’effigie de panthères des neiges sont à vendre. Ces êtres légendaires que les touristes espèrent tant voir avec très peu de succès, Sonamc en a vu très souvent. Comme moi les vaches en campagne.

      Premier pipi dans des toilettes trou. Pas des toilettes turques, juste un trou dans le sol derrière une cloison de fortune en brins végétaux. Quand on sent la brise chaude de la prairie en baissant ses culottes, ça adoucit l'expérience. Après avoir fini, on recouvre notre donation de paille. Le Ladakh est écolo; on trouve de l’eau filtrée facilement, du recyclage, des sols propres et apparemment, des toilettes compostes.

      Le gîte dans le village de Sara est tenu par une famille tibétaine, menée par une femme assez agée sans dents toute douce. Je suis bien entendue accueillie avec un gros thermos de thé, parfait pour la fraîcheur humide qui s’installe en fin d’après-midi. Sonamc, qui était confortable dans son gros coton ouaté en marchant au soleil, l’est tout autant en étant immobile au froid. Elle est une thermopompe humaine qui régule la température de son corps. Elle peut bien ne rien avoir dans son sac à dos! 

      J’observe un long moment la femme pas de dent faire voler des grains en sifflant. Elle fait sauter un plateau de céréales d’une certaine hauteur pour que leur densité les séparent des écosses de la poussière de terre, les une atterrissant sur une bâche et les autres retrouvant leur liberté. En sifflant, elle évite les impuretés d’entrer dans ses poumons. Le butin remplit des sacs qu’elle apporte dans un abri. Elle me lance un regard qui dit: t’es ben fine, mais ça te tenterait pas de m’aider au lieu de me prendre en photo? Maudit que les sacs sont lourds.

      Plus tard, on l'accompagne dans la serre pour cueillir de la menthe pour le thé et elle nous récompense en fraises. On me fait écosser des pois en cuisine pendant que la femme fait des pâtes maison. La chaleur des fourneaux fait autant de bien que la communication par gestes, plutôt que d’essayer de comprendre l’anglais rudimentaire de mon entourage.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

KHEMTSES-PA

 

      Dans la cuisine, des chapatis cuits au feu de bois sont servis avec du miel et du thé. La nuit a été bonne et je suis prête à continuer l’adaptation de mon souffle en altitude. En plus, je trouve un meilleur réglage de sangles et mon sac arrête de me cisailler la hanche gauche. Tu parles d’un bon commencement de journée! On continue notre progression dans le canyon jusqu’au village Markha, où on était supposées passer la nuit, sauf qu’il est juste 10h45… “We walk fast” me répète encore Sonamc. Je te promets que je fais des efforts pour ralentir!

      Le village est vide le jour. Tout le monde travaille dans les champs. Mais où sont les champs? demande-je. Tu ne les as pas vus sur le chemin? Habituée aux grandes étendues lignées, je n’ai pas remarqué les petits ronds cultivés épars ici et là. La terre fait ce qu’elle peut par ici. Les habitations de Markha ressemblent à des bunkers de béton colorés de drapeaux de prières. Les locaux semblent avoir peur du soleil. Ils portent des vêtements longs, s’enduisent de crème protectrice sur chaque centimètre carré de peau qui dépasse, et couvrent leurs têtes de foulards et casquettes. Les fenêtres des maisons sont petites. Les rayons UV ne sont vraiment pas les bienvenus. À leur défense, je rougis d’un rien depuis que je suis dans la région. L’ocre est de concert avec les rayons nocifs.

      On croise un rocher en forme de thumb up, ce qui nous vaut notre premier rire partagé. Une stupa avec de l’ombre nous procure un espace apprécié pour arrêter manger. La femme sans dent a rempli notre boîte à lunch: une patate, un oeuf dur, une toastinette (comme dans mon enfance), deux chapatis au miel et au beurre de peanut, un jus de litchi et un morceau de chocolat. Ça cale bien le ventre. On a pas eu le temps de tout digérer quand on arrive une heure plus tard chez la famille qui va nous héberger pour la nuit. Ils m’asseoient pour le thé d’accueil pendant qu’ils mangent leur repas. Sans crier gare, on me dépose une énorme assiette de riz, surmonté de lentilles. Ils n’acceptent pas mon refus dans lequel je mets pourtant toute la gratitude et politesse du monde, et c’est avec dévouement que je finis mon assiette avec persévérance. Deux enfants de deux et quatre ans se promènent avec leurs assiettes, du riz collé au visage, aux mains, au chandail, au pantalon, aux pieds. Il y en a partout. Les souliers sont bannis à l’intérieur, mais les tapis qui recouvrent le sol de béton n’ont rien connu d’autre qu’un balais de fortune. Je suis la dernière à table; tout le monde a fini tandis que je négocie avec mon estomac; allez, encore une bouchée. 

      Retour aux champs pour les travailleurs. La grand-mère est dehors, à siffler à l’oreille des céréales dans le vent, pendant que le garçon de 4 ans rit d’un âne en érection. Il va jusqu’à toucher ledit pénis en riant. L’animal, heureusement, ne semble pas se rendre compte de l’intrusion. Ou bien il en a l’habitude.

La cuisine s’active vite de nouveau pour le repas du soir: momos aux choux, oignons et carottes. On m’invite à participer à leur confection, mais la grand-mère, qui se trouve être la grande soeur de la femme sans dents d’hier, ne semble pas particulièrement apprécier que je me mêle de leur travail. Ça fait bien rire Sonamc, qui tente de m’apprendre à former les momos auxquels elle donne une forme parfaite avec des pincements de doigts rapides et efficaces. On peut très nettement voir la différence entre les miens et ceux des locaux. Nouveau regard désapprobateur de la grand-mère. Le plus jeune des enfants ne porte pas de couche, c’est pas dans le style vestimentaire de la région. Il se balade un moment les culottes mouillées d’une façon qui ne laisse pas de doute sur l’origine, jusqu’à ce que sa mère, la cuisinière, ait le temps de le changer. Sans se laver les mains. En même temps, l’amateur de l’anatomie des ânes éternue à répétition sur les momos. Toutes les règles d’hygiène préventives et de préparation du système digestif des dernières semaines vont prouver leur efficacité ce soir. Ou pas.

      Au souper, la grand-mère me tourne le dos, mais  se retourne régulièrement pour me lancer des regards en coin. Elle m’a à l'œil.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

THANGMAR-PA

 

      La nuit est courte. L’altitude fait beaucoup uriner et nécessite la visite des belles latrines en continue et de dompter les portes anciennes qui soit se coincent, soit laissent entrer le froid des montagnes à l’intérieur. L’épreuve pour mon corps à moitié endormi est adoucie par la vue sur les flancs de montagnes éclairés par une belle lune, comme des anges protecteurs.

      La marche est toute aussi courte, puisqu'on a pris de l’avance hier. L’ocre est hachuré de stupas et de roues de prières qui veillent sur les peuples des montagnes. On fait trois fois le tour des roues dans le sens des aiguilles d’une montre, pour la bonne fortune. Sonamc y trouve probablement plus de bienfaits. Elle s’émerveille des couleurs d’automne des quelques boisés jaunes que l’on croise. J’ai le réflexe de sourire, en pensant aux grandes étendues des forêts québécoises connues pour leurs couleurs bien plus éclatantes que ce que je vois maintenant. Puis je réfléchis (ça fait ça de marcher). Sonamc voit des choses qui me sont invisibles dans ce désert. Des variations, des détails, de la subtilité et mon sourire passe de la moquerie à l’appréciation de son émerveillement pour les couleurs d’automne.

      On croise des mini cours d’eau qui ont hâte à la neige. En plein été, les randonneurs doivent beaucoup se mouiller les bottes, vu les traces  laissées par les courants asséchés. On passe par un village, espérant du thé et pourquoi pas l’achat d’une peluche en laine de yak. Il n’y a personne, tout le monde est au champs. Somanc crie des mots d’ici, jusqu’à ce qu’un visage souriant apparaisse; c’est leur sonnette à eux. Elle doit lui expliquer qu’une blanche est venue jusque là pour boire et magasiner. Est-ce que c’est possible? Malheureusement il n’y a pas de thé de près, et les peluches sont dans une pièce dont on ne trouve pas la clé. Tant pis.

      L’après-midi est long à l’auberge. On est juste nous. Ça ne me dérangerait pas d’être seule face aux montagnes, avec mes idées, mon livre, mon appareil photo, mais Sonamc a le devoir de m’occuper. Alors on reste assises face à face avec notre gros thermos de thé. Elle parle peu anglais, mais ça j’ai l’habitude. Le plus compliqué est la très grande différence dans nos références culturelles. Elle est fascinante lorsqu’elle me parle de son enfance nomade. Que les enfants aînés doivent rester vivre avec leurs parents pour s’en occuper (elle est la deuxième de quatre enfants). Elle aimerait vivre avec eux, mais la vie est si dure là-bas. Je lui demande comment les couples se forment, puisque le monde sort rarement de son village. La plupart des mariages sont arrangés, et la femma part vivre dans le village de l’homme. Mais Sonamc y a réfléchi, et elle se dit qu’elle préfèrerait se marier par amour. Puis elle me pose des questions. Vis-tu proche du village de tes parents? À 6000 km. Désert de compréhension dans ses yeux. Chez moi, les enfants quittent le nid familial à 18 ans, d’un commun accord avec les parents. C’est comme si elle essayait de résoudre une équation à 12 inconnues dans sa tête. Lors d’une promenade dans des ruines, je fais une joke de matante en demandant où est l’ascenseur. C’est quoi un ascenseur? Elle a rencontré différentes cultures par son travail, mais n’en connaît que nos histoires, sans appui sensoriel, comme la personne dans une soirée qui raconte des histoires bien trop extravagantes et que tu dis “mais non”. Mais elle veut comprendre, avec étourdissement, elle qui aspire à la simplicité, comment nos vies peuvent avoir tant de variables.

      On est chacune un peu soulagée quand la famille rentre à la maison. Une femme met tout de suite de l’eau à chauffer, on niaise pas avec le thé. Elle nous cuisine du pop corn, de la soupe à l’oignon, du pain vapeur, un dhal, des pommes de terre et des carottes au curry. Tous les légumes viennent du jardin. Ils n’ont pas de frigidaire, une partie des récoltes est séchée pour tenir l’hiver.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NIMALING 

 

      J’essaie de comprendre ce qui alimente le feu dans la cuisine. Ce n’est pas du bois. On dirait du charbon, mais pas tout à fait. On confirme mes doutes, c’est de la crotte de vache séchée. Au menu ce matin: chapati au fumier. Le père de famille lit avec plénitude un parchemin de prières pendant qu’on parle de crottin.

      La montée est poumonairement difficile. Sonamc a un rythme de marche saccadé qui me fatigue. J’essaie de lui expliquer que j’ai besoin d’une allure régulière, c’est comme ça que j’avance, et que si je la dépasse parfois, c’est en aucun cas un manque de reconnaissance ou de politesse, mais je vois que ça la frustre. On croise des yaks, de grosses vaches au poil long et aux cornes de Belzébuth. L’eau des ruisseaux est parfois gelée, signe contradictoire qu’on se rapproche du soleil. Des restants de maçonneries décorent le sol ici et là. On aperçoit des dizaines d’aigles à grande envergure frôler les parois. Je veux faire ça dans une prochaine vie, ça a l’air parfait. Mon corps commence à comprendre que l’air est différent. Je continue à observer la vie pour faire diversion. Plus on monte, plus les montagnes sont violettes. Je n’ai pas faim, ce qui n’est pas dans mes habitudes, surtout en randonnée, mais on s’arrête pour manger pareil. Il faut se nourrir, et une pause est grandement appréciée! Sonamc nous trouve un bel endroit au bord d’un lac où des yacks et des chevaux sauvages viennent s’abreuver. À noter que les yacks aiment le riz au curry.

      Le camping se profile au loin, dans une cuvette, comme l’image qu’on se fait d’un village mongole. Il me fait peur depuis le début celui-là, camper dans la fraîcheur des sommets. Pourtant il est tellement beau, une tâche de couleur et d’humanité tranquille dans un paysage que je trouve maintenant spectaculaire. Sur le chemin, il y a une toute petite maison de pierre. Sonamc reconnaît le style nomade, et ne peut s’empêcher d’aller dire bonjour. Cette vue lui manque vraiment. Si ce n’était pas si difficile, elle poserait son sac et s’installerait, je n’aurais qu’à suivre le chemin. J’aime que dès qu’elle croise quelqu’un, elle s’engage toujours dans une grande discussion. Elle parle un bon moment avec la femme aui vit dans la petite demeure, seule avec ses vaches, un grand sourire aux lèvres. C’est beau de les regarder.

      On pose nos valises à 4837 mètres de hauteur, juste au dessus du sommet du Mont Blanc, référence de ma jeunesse en matière de point culminant. J’essaie de lire sur un rocher en regardant les montagnes, mais mes doigts gèlent. Pourtant mon livre est si approprié. Il parle d’un binôme en expédition sur un sommet en Alaska. L’un d’eux fait une embolie cérébrale, mais ce n’est pas ça qui en fait le livre parfait de la situation. C’est plutôt la description des effets du manque d’oxygène sur le corps, qui m’aident à comprendre ce qui se passe dans le mien. Maux de tête, perte d’appétit, besoin constant d’uriner, même la crise de hoquet de Sonamc s’explique. Leurs engelures et abris de fortune creusés dans la neige m’aident à relativiser mes frissons.

      Au campement, qui est une croisée des chemins de plusieurs randonnées, je rencontre enfin du monde! Dont deux haut-savoyardes! On parle de notre région, de nos pics, de nos forêts, qu’elles connaissent bien mieux que moi qui suis partie tôt. Elles partent à 22h30 pour gravir le mont Hemis et y voir le lever de soleil. Leur porteur sort harnais, cordes et crampons… J’admire leur bravoure, mais je me sentirais incapable maintenant de braver la froideur humide qui a envahi notre tente/salle à diner pour aller faire une ascension dans la neige. Bravo les filles! Pendant qu’elles représentent les Alpes, je rentre dans ma tente, entourant mon sac de couchage de deux couvertures en dessous, et trois au-dessus. Bonne nuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHOGDO

 

     Au réveil, la couverture du dessus est trempée. J’ai bien fait d’avoir placé mes vêtements, électroniques et bouteille d’eau dans mon sac de couchage pour la nuit. Je marche dans le campement encore endormi, à part les cuisiniers qui nous préparent du bon gruau. Le cours d’eau est gelé et le frimas brille sous le soleil. 

          On est pas loin du sommet. D’ordinaire je me dirais que je suis presque arrivée. Mais on n'est pas dans un endroit ordinaire. En tout cas pour moi. Sonamc, elle, n’a l’air d’avoir remarqué aucune différence par rapport à quand on était 2000 mètres plus bas. Ce n’est plus moi qui l’attend, c'est elle. Plus on monte, plus je prends des pauses pour ralentir mon cœur. Mes jambes sont molles, exemptes de tout muscle et j’ai la nausée. Le mont Hemis se couvre, j’espère que les filles ont pu profiter de la vue. Allez, je marche jusqu’à la pierre. Pause. Jusqu’au tournant. Pause. J’ai jamais été aussi lente. Lors d’une pause pipi, des cheveux sauvages passent devant mes culottes baissées. Ça vaut l’inconfort. 1h40 pour 300 mètres de dénivelé. L’arrivée au sommet est une bousculade d’émotions: la satisfaction, l’ébahissement devant la vue incroyable, la fatigue, le vent glacial, la nausée, le cœur chaud et j’en passe. Les drapeaux colorés qui clapotent ajoutent à la beauté et à la sensation d’être dans un endroit qui se mérite. Je profite du mince réseau pour envoyer un message de bonne fête, et je referme tout de suite mon cellulaire, je suis pas prête à me reconnecter au monde.

         La descente, enfin. Le corps est tout de suite plus à l’aise. On passe devant des plants de rhubarbe, et même des fameuses chèvres bleues qui font les timides depuis le début. C’est vrai que si on cherche bien, il y a une légère teinte de bleu dans leur lainage. On descend dans des gorges magnifiques aux parois striées de violet, d’ocre et de brun. Quelques petites montées me rappellent que j’en ai beaucoup demandé à mes jambes ces derniers jours.

      À l’auberge, je suis partagée entre mon envie de ne plus lutter à respirer, et celle de rester dans les sommets. Allons boire un thé pour y penser.

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