ARRIVÉE À NAHIKU
Février 2018
Pendant longtemps, Hawaii était pour moi un petit bout de terre entouré de kilomètres de plages, bordées de gros hôtels d’un côté et de surfers de l’autre. Je ne savais même pas que c’était un archipel. Le bouleversement s’est produit quand une de mes collègues m’a montré les photos de son voyage, sur la terre dite la plus isolée du monde. En arrière-plan des tortues et longues planches ovales, il y avait des montagnes, habillées d’une végétation luxuriante d’un vert hypnotisant. Oh malheur, un nom à ajouter à ma déjà longue liste de places à visiter, et directement dans le top cinq.
Parlons pratique. Ma profession saisonnière et mes anciens voyages m’ont accoutumée au luxe des longues expéditions, un mois minimum (ça prend au moins trois semaines pour se détacher de son quotidien). Les compagnies aériennes ne me dupent pas. Je sais que même si le prix du billet d’avion est très attrayant, Hawaii a la même condition insulaire que l’Islande (aussi dans le top cinq de ma liste) où toute marchandise doit être importée par long courrier. Les prix défient donc les lois de la gravité. Je ne peux pas vivre plusieurs semaines de mes économies dans ces endroits. Heureusement, le souvenir d’une discussion sur le GR20 en Corse me revient à propos du site workaway. On y trouve des demandes de bénévoles dans des domaines très variés, partout dans le monde, en général en échange du gîte et du couvert. À ma grande surprise, il y a beaucoup d’offres pour Hawaii dans le domaine qui m’intéresse: l’agriculture (j’ai envie d’apprendre à faire pousser des affaires). À dire vrai, je ne suis pas encore bien décidée sur ma destination. Dans mes souhaits, il y a aussi les îles Galapagos, le Sri Lanka et la Nouvelle Zélande (L’Islande est éliminée en hiver), et je postule à divers points cardinaux. Mon arrivée récente sur le site, mon inexpérience dans l’agriculture et probablement aussi dans ma façon maladroite de me présenter ne m’apportent qu’une seule réponse positive : une plantation à Nahiku, près de Hana, dans l’est de l’île Maui. Ainsi ce sera.
Quelques semaines plus tard, je survole les États-Unis, observant du ciel le Grand Canyon, Las Vegas et les célèbres lettres géantes épelant Hollywood. C’est un peu frustrant de ne pas pouvoir m’arrêter, mais je crée mentalement une nouvelle case “aperçu” dans ma checklist. Après deux vols de six heures, j’atterris d’abord à Kahului, d’où je prends un autre avion le lendemain pour Hana (je ne trouve pas d’information sur des bus et je ne sais pas encore que le meilleur moyen de transport quand on a pas de voiture, c'est le pouce). À Kahului, je me présente à une minuscule annexe de l’aéroport où, à dix minutes du décollage, l’hôtesse au sol appelle notre nom et guide les quatre d’entre nous vers l’avion de dix places caché en arrière. Ça vole cette affaire là ? Je ne veux pas faire ma peureuse, mais je ne vois même pas où pourrait entrer le moteur madame ! Installés dans l’appareil, le pilote se retourne de son cockpit aussi étroit que l’espace cuisine d’une chambre de bonne parisienne et nous donne les conseils de sécurité (bouge pas, fume pas, si on s’écrase, fais moi confiance). Une fois l’hyperventilation du décollage dépassée, la beauté de la côte qu’on longe doucement fait tout oublier. Je n’ose pas trop bouger pour ne pas faire chavirer l’avion, mais tords le cou au maximum pour admirer ce paysage de montagnes qui justifie le voyage.
Arrivée à Hana après un gros dix minutes de vol, je me souviens que Linda, mon hôte, n’a jamais répondu à ma demande d’adresse et de numéro de téléphone. Fait que, je suis au milieu de la jungle, dans un aéroport grand comme une salle de classe d’école primaire, sur le bord de fermer parce que le deuxième et dernier avion de la journée vient de repartir. Après quelques minutes à discuter avec une autre passagère, un gros pickup blanc arrive, et en débarque une femme aux bottes de pluie et au mohawk blond frisé. « Camille ? ». Je réduis la liste de personnes qui connaissent mon nom dans ce coin du monde à une personne. « Linda? ». Relâchement musculaire.
Un court trajet truffé d’informations s’ensuit. D’abord, une description de quelle terre appartient à qui, comme si les noms m’étaient connus, le long de la route principale, la Hana Highway. Ensuite le fait qu’on est en hiver dans un microclimat de l’île où il tombe seize pieds de pluie par an (dont l’essentiel durant les six semaines de ma visite), d’où l’existence de ces terres cultivées qui n’ont jamais besoin d’arrosage. Pratique. La ville, assez grande pour accueillir deux magasins généraux (qui se font face…) est à six miles de la propriété; il fait nuit à 6pm et il n’y a pas de lampadaire dans les rues, alors assure toi de rentrer tôt à la maison.
On quitte la route pour le domaine de Linda en contrebas. Une grande maison ronde alimentée en énergie solaire (et au propane en backup) et par l’eau de pluie recueillie dans un gros réservoir. Là elle me fait embarquer dans un quatre roues pour faire le tour de la propriété de huit hectares. Elle me présente des orangers, pamplemoussiers, manguiers, cocotiers, momakis, tea tree, arbres à avocats, papayes, cacao, café, hibiscus et les plus beaux, les eucalyptus arc-en-ciel. La plupart sont encore petits et pour moi, fille de la ville, impossible à différencier.
En bas d’une côte rude il y a la maison des bénévoles, que je vais partager avec un couple de République Dominicaine. Les panneaux solaires ne se rendent pas jusqu’ici, et l’eau arrive à un robinet à l’extérieur. Pour la douche, j’ai le choix entre un tuyaux d’arrosage dans une hutte à trois murs et pas de toit, ou bien des seaux d’eau dans la baignoire de la salle de bain privée à aire ouverte dans ma chambre. Je choisis la seconde option et chauffe un peu mon eau sur la cuisinière de camping de notre cuisine. Il fait pas si chaud le soir.
S’ensuit un repas de bienvenue chez ma famille d’accueil, qui allume la lumière quand ça fait déjà un moment qu’on voit rien, histoire de ne pas abuser de l’électricité.
Je suis arrivée à Nahiku.

LA FAMILLE S.
Février 2018
Ma maison pour les six prochaines semaines se situe sur la propriété « Doc’s Green Acres », du nom de son propriétaire Doc, un alaskien amoureux du territoire hawaïen, qui a acheté cette terre il y a quelques années. Huit hectares divisés en quatre parties, habitées chacune par Doug, Scott, Michelle et, sur la plus grande, les S.
Linda et Jason S. sont venus du Colorado il y a six ans (après une première tentative trente ans auparavant) pour une vie au soleil. Ils sont arrivés avec le plus jeune de leurs quatre enfants, Isaiah, suivis par Martin il y a deux ans. Leur mission est de transformer la jungle originelle en un terrain cultivé productif. La première année, ils ont dormi à trois dans une tente au pied des arbres géants. Maintenant ils vivent à quatre dans une grande maison avec vue sur l’océan. Doc paie pour les travaux, les laisse habiter la propriété et donne une allocation pour nourrir les volontaire en échange du travail d’aménagement. Linda et Jason ont de grands projets : avoir un stand de fruits au bord de la route (chose très commune et très utilisée dans le coin), du café et chocolat maison, une exportation de thé à l’échelle mondiale et des fleurs à perte de vue. La plupart des arbres sont tout petits, une partie de la terre est encore à aménager et une autre toujours cachée sous des arbres aux feuilles plus grandes que moi, mais on peut facilement imaginer le futur Eden végétal que va devenir cet endroit, et qu’il est déjà un peu.
Les S. sont des gens complexes et fascinants. Je suis contente d’avoir dû passer passer autant de temps avec eux, parce qu’après une première rencontre, j’aurais sûrement passé mon chemin. Peut-être à cause de leur mode de vie hippie/simplicité volontaire, ou de leur histoire qu’ils racontent ouvertement. Elle comprend de l’alcoolisme, des dépendances, une éviction de maison pour hypothèque impayée, des roadtrips, du dressage de chien, des accidents de rugby… Ils me parlent de tout ça durant les dîners bihebdomadaires dans leur maison, faits de succulents plats cuisinés par Linda nouvellement végétalienne engagée, à la fin duquel ils fument une pipe de marijane en famille. D’autres fois, les histoires sont racontées par Linda devant leur maison pendant qu’elle empêche leurs chiens de manger les poules, ou bien par Jason pendant qu’il se réserve un billet d’avion pour Kawai pour son travail d’ingénieur en bâtiment. Ou encore par Isaiah qui fait un puzzle, avec son léger sourire moqueur toujours au coin des lèvres, ou enfin par Martin, qui a du mal à finir ses phrases. Tout le temps.
Un jour de pluie, j’ai une discussion étrange avec Linda à propos d’un blog à conspirationniste qu’elle aime suivre. Elle m’apprend que Maui contient en permanence pour trois jours d’autonomie en denrées acheminées du continent. La région de Hana est composée principalement de fermes qui, pour la plupart, sont autosuffisants en eau et électricité. Linda aimerait donc se procurer une arme pour se protéger, dans le cas où l’île ne serait plus approvisionnée en nourriture ou si son système d’eau ne fonctionnait plus, et que le monde essaierait de piller la ferme. Malgré la réelle possibilité d’une catastrophe naturelle (ou politique) menant à cette situation, j’ai essayé de lui faire part de mon dégoût pour les armes, cet outil créé pour tuer, mais rien n’y fait, elle veut pouvoir se défendre en cas d’apocalypse. Mon poil s’hérisse lorsqu’à mon argument des nombreux accidents mortels dus aux armes domestiques et aux fusillades dans les écoles, elle me répond « ce n’est pas l’arme qui est dangereuse, mais la personne qui tient l’arme ». Nous assistons à un cas flagrant de choc culturel, mais c’est aussi ça le voyage, apprendre à respecter les opinions des autres.
J’aime passer des soirées chez eux. En partie parce que c’est plaisant d’avoir un peu d’électricité et une chasse d’eau, mais aussi parce que cette famille est tout aussi dépaysante que les plages de sable noir et les volcans. Il y a pourtant une chose que je déteste dans ces moments, c’est que je dois descendre la colline vers ma maison, à la lanterne, essayant d’éviter les dizaines de grenouilles qui sortent à la nuit et savourent l’humidité. Elles sont immobiles, toutes tournées dans la même direction,, telles des zombies gluants et vils. Ceux qui me connaissent savent mon aversion pour ces êtres démoniaques.
Au final, la famille S. est très généreuse et j’ai développé pour elle une sincère affection. Ils sont unis, vivent ensemble dans une maison à aire ouverte (moi qui ai tant besoin de mon espace), et j’admire leur contentement dans la simplicité.

APPRENTIE AGRICULTRICE
Mars 2018
Voici le deal : je travaille pour le projet vingt heures par semaine, de 8h à 13h, du mardi au vendredi, en échange d’une chambre et de nourriture. Pour être honnête, la pluie ou la hâte de nos hôtes à aller manger nous fait souvent terminer entre 11h et midi. La plupart du temps, on travaille sous la pluie, mais c’est presque mieux que la grosse chaleur humide qui se pointe quand le ciel se décide à s’éclaircir. C’est drôle comme on peut être résolu à désherber les pieds d’un hibiscus jusqu’à ce que ce soit impeccable, puis on entend au loin quelqu’un dire « let’s call it a day » et les gants et râteau volent au vent.
J’ai cherché à travailler sur une plantation pour apprendre à faire pousser de la nourriture, des fleurs, voir grandir un arbre et savoir lui donner de l’amour. Au final, ma besogne est à 90 % du désherbage, manuellement, avec des outils semi brisés. La région se veut totalement naturelle et sans produits chimiques, ce qui est formidable, mais veut aussi dire « mets toi à genoux et arrache les mauvaises herbes une par une à la main ». Une autre partie de mon travail est de déterrer les racines d’un arbre appelé le tupilier du Gabon. Adulte, c’est un bel arbre avec des fleurs rouges que la légende dit être des gouttes de lave emprisonnées lors de la dernière éruption du volcan. En réalité, c’est un arbre nocif qui absorbe tous les nutriments de la terre et en prive les autres végétaux. En plus d’être méchant, ce grand arbre commence par une racine-pieuvre. J’ai appris à repérer les bébés tulipiers qui semblent si mignons et fragiles, mais qui cachent des racines s’étalant sur des dizaines de mètres carrés. J’aime assez cette tâche, parce que retirer un gros bout de racine de la terre, c’est comme arracher un gros morceau de papier peint ou arriver à regrouper toutes nos courses en un endroit. C’est très satisfaisant, et ça me donne envie de me tourner vers l’avocatier et de lui dire : tu es en sécurité maintenant.
Un avantage à Hawaï est que, étant donné que c’est une jeune terre, déserte jusqu'à récemment (à l’échelle de l’humanité), il n’y a pas d’animaux dangereux. Pas de serpents, pas de lion. Même les moustiques, qui me percent la peau vingt fois par jour malgré tous les remèdes de sorcier qu’on me donne, ne grattent que quinze minutes environ, puis on en parle plus. Ils ne sont pas encore assez forts. La seule chose contre laquelle on me met en garde, mais de façon très sérieuse, ce sont les centipèdes. Apparemment leur morsure est douloureuse, et potentiellement dangereuse. Et mettons que l’hôpital le plus proche n’est pas très proche. Genre le vétérinaire est plus proche, si tu vois ce que je veux dire. On me parle aussi d’une larve qui, si elle s’est faite pisser dessus par un rat, peut être dangereuse quand tu la touches. Sauf que je ne comprends pas vraiment à quoi elle ressemble, si ce n’est de beaucoup à toute la boue qui m’entoure. Je parais courageuse à côté de ma collègue qui cours se laver les mains et gants deux ou trois fois par heure, mais c’est juste que suis trop flémarde pour faire tant attention.
Martin est notre chef d’orchestre, étant donné qu’il est en convalescence après qu’une scie électrique se soit approchée un peu trop près de son genou. Il nous dit quelle portion désherber, nous apprend à planter un consoude ou un ananas à côté des autres arbres car il leur apporte de bons nutriments, à placer du plastique et des copeaux de bois aux pieds des troncs pour les protéger des insectes, et à ouvrir une noix de coco avec une machette. C’est pour aller avec les barres tendres et chips qu’il nous apporte pour notre pause. Ils sont très forts sur la consommation d’emballages et les portions individuels. Ça choque mon âme de grano, surtout quand j’apprends qu’il n’y a pas d’usine à recyclage sur aucune île d’Hawaï, et que tous les déchets sont envoyés par bateau sur le continent pour être traités.
Mon collègue dominicain se fait attribuer les travaux un peu plus exigeants physiquement, comme la construction de toilettes extérieures. Les maisons du domaine ont été jugées non conformes par la ville, et toute la plomberie (entre autres) doit être refaite dans l’année, d’où le besoin de fabriquer une solution temporaire à l’appel de la nature, ou comme Martin le dit « yep, we’re gonna have to shit in the outside ». C’est du bon composte tsé.
En parlant de ça. Maui, en gros, est un volcan, sur lequel la vie s’est créée. Il y a très peu de terre sur ce gros rocher, ce que les plantes n’aiment pas trop. C’est étrange, parce qu’on peut voir beaucoup d’arbres improbables accrochés sur des falaises à pic! Quoi qu’il en soit, on récupère tout ce qu’on peut d’organique (feuilles, herbe, restants de nourriture) qu’on dispose sous des bâches à divers endroits de la propriété et qui dégagent un élégant fumet quand on les soulève, mais qui produisent une belle terre.
Une chose me fascine dans l’organisation très frivole dans cette plantation, c’est la serre. Il y a cette petite maison de verre, très organisée, toujours bien éclairée, même quand il n’y a plus d’électricité pour la maison. C’est pour la récolte de cette plante verte en étoile, qui dégage une odeur qui selon moi ressemble à la moufette, mais qui est délectable pour tous les autres. On ne plaisante pas avec le cannabis. Il a besoin de soins, d’amour et est aussi vital que la nourriture. Ça a l’air. Quand je demande à mes hôtes : donc, une personne du gouvernement est venue examiner votre maison et vous menace d’expulsion si des travaux ne sont pas faits. À côté il y a cette cabane odorante qui est la seule chose visible dans les nuits noires de ce coin reculé du Pacifique à part les étoiles, et tout est correct? « Yeah, they don’t really care, or they would have to arrest everybody in town, you know .» I know.
En échange de notre travail, Linda nous apporte régulièrement (en fait très irrégulièrement) du riz, des pâtes, des cans de haricots, des pommes de terre et des œufs bien frais. Pour sa défense, elle va, comme le reste de la ville, au magasin le plus proche, c’est à dire au Costco de l’autre côté de l’île à une heure et demie de route, pour faire l’épicerie. Mais l’avantage de notre situation, est qu’on peut se servir dans le jardin des plus gros avocats que j’ai jamais vus, de papayes, d’oranges et de bananes. Un bon régime sans graisse, ça fait du bien.
Une autre belle expérience à vivre dans une maison pleine de trous au milieu de la jungle, est la cohabitation avec les rats. L’avantage est qu’elle force à nettoyer la cuisine comme jamais, mais si j’ai bien retenu une chose, c’est que les rats raffolent des avocats. Ils vont percer un trou dans les plastiques les plus durs pour assouvir leur passion. J’ai vos emprunte dentaire les gars, je vous retrouverai !
LES MONSTRES DU PACIFIQUE
Mars 2018
Ma première rencontre avec l’océan (de personne à élément, pas seulement en aperçu de l’avion) s’est passée à la Red Sand Beach, où mes collègues bénévoles m’ont amenée après ma première matinée de désherbage. On est fin février, avant l’arrivée des touristes téméraires qui réussissent à décoder les indications volontairement vagues des locaux, et à trouver le chemin qui part du fond de la cours d’une école, continue à travers les bois, puis le long d’une falaise avant de descendre vers la plage. D’abord, il y a le son; comme trois mille laveuses non synchronisées. Ensuite, en arrivant à la falaise, la vision; celle d’un monstre furieux enfermé dans une crique et qui essaie d’en échapper par tous les bords. Un remous qui paraît irréel tellement il est puissant. La vue est puissante et me partage entre l’envie de rester en hauteur pour essayer de comprendre ce que je vois, ou descendre m’en approcher.
Une fois que mes jambes ont décidé de me porter jusqu’à la plage d’un sable rougeâtre (d’où le nom), je me retrouve face à face avec l’ogre. Une digue naturelle forme un bassin semi-tranquille où l’on peut se baigner, mais les vagues m’arrivant mi-mollet me déstabilisent déjà assez. On dirait que l’océan hésite constamment entre marée haute et marée basse, rendant l’estimation de trempage impossible. À la place, on fait la connaissance de bohèmes locaux, qui nous offrent une bière et nous partagent leur philosophie sur l’océan, alcoolisée elle aussi, mais divertissante.
Le deuxième monstre que j’ai rencontré à Hawaii est, lui, végétal: l’arbre banyan. C’est un colosse; du genre qui ne rentre pas sur une photo. Il s’élève majestueusement vers le ciel. Son tronc a l’air d’être composé d’une centaine de lianes entremêlées, du haut desquelles se déploient autant de branches, qui échappent d’autres lianes vers le sol. Je ne serais pas surprise d’y croiser Tarzan ou Kaa.
Des banyans, il y en a partout. Le long de la Hana Highway où je me promène tous les jours, dans les villes, au bord de la plage. Comme pour confirmer l’expression qui dit que tout est plus gros en Amérique, ces arbres me donnent l’impression d’être toute petite, mais bien entourée.

UN DIMANCHE À HANA
Mars 2018
Mon premier dimanche chez les S., je les accompagne à l’église. C’est un moment très important pour eux et j’ai envie de les suivre dans leurs traditions. Il m’a été répété plusieurs fois que je n’avais pas besoin de mettre de beaux habits; les hawaïens tiennent à leur décontraction, et ça tombe bien, les choix vestimentaires de mes bagages sont assez restreints. C’est tout de même dans leurs plus propres vêtements de sport et jeans déchirés qu’il m’emmènent dans une salle communautaire qui leur sert d’église. Je suis immédiatement repérée comme la nouvelle. Vikki, la femme du révérend Ka, d’une troublante jovialité, m’accueille, me présente et m’invite à m’asseoir à la table où du thé et des scones sont disposés. Le thé est doux et chaleureux, mais les scones à la mangue, recouverts d’un glaçage au lilikoï (fruit de la passion), sont une explosion de bonheur sur mes papilles. Fillis, la doyenne de la paroisse et admirable pâtissière de ces chefs-d’oeuvre, m’a depuis donné la recette, mais je n’ai pas encore osé essayer de les reproduire.
Pendant que je mange trois ou quatre scones, le monde vient me voir, les enfants vont me cueillir des fleurs et les guitaristes de l’”orchestre” s’accordent. Le service commence par plusieurs chansons interprétées par Vikki, envahie par sa foi des pieds au chapeau, accompagnée de Ka, leur fils, Jason et Martin. On est loin des gospels, mais leur enthousiasme me plaît, malgré les paroles atrocement serviles projetées sur un écran, histoire que tout le monde puisse bien suivre et participer.
Vient ensuite le sermon. Ka, un natif d’Hawaii comme il y en a peu au final, nous parle de la bonté du monde, puis Fillis entre en scène, demandant aux fidèles de dire pour qui ou quoi ils veulent prier. Elle nous improvise ensuite une prière avec les mots-clés susmentionnés. Enfin, Jason expose son projet de groupe de discussion hebdomadaire sur des sujets d’actualité. L’engouement est rapide. Fillis et Linda se concertent pour gérer les collations et les hommes pour l’achat du mobilier adéquat. Bouquet final: il faut se mettre en binôme et se recueillir ensemble cinq minutes. Fillis se dévoue à contrer mon besoin de solitude. J'apprends que ne sais pas plus prier en anglais qu’en français.
Après la messe, un potluck savoureux est servi. Je rencontre une coréenne qui se fait appeler Virginia, ce qui ressemble plus ou moins à son vrai nom que personne n’arrive à prononcer. Elle m’apprend les rudiments du Go, avant qu’on parte en groupe pour Hamoa Beach. Depuis que je suis à Hawaii, je n’ai rien vu d’autre que ciel gris et pluie, mais ça n’empêche pas les habitants d’organiser des activités d’extérieur, comme une partie de beach volley, tradition du dimanche après-midi. Isaiah et Martin installent le filet, pendant que des amis d’amis arrivent, plus des gens qui se promènent et profitent de l’occasion pour jouer. Virginia sort de ses quatre sacs de Mary Poppins les restes du potluck en nous donne des leçons d’astronomie chinoise.
Hamoa Beach est une plage de sable noir, comme il y en a beaucoup dans la région. Elle est moins fréquentée par les touristes car elle a l’air moins spectaculaire que d’autres, mais son ergonomie offre une longue étendue de fortes vagues, paradis des surfers. Je vais peu m’y baigner pendant mon séjour, mais vais passer des heures à observer ces maîtres de la planche danser avec l’océan.

LES VISAGES DE NAHIKU
Mars 2018
Michelle et Charlie
Michelle est la voisine de la famille S. Sa maison est sur le terrain de Doc et l’argent de son loyer, qu’elle donne directement à Linda, sert à nourrir les volontaires. Une machine bien huilée ce domaine. Originaire d’Ohio, ce petit bout de femme est arrivé sur l’île il y a dix ans, avec l’envie d’une vie au soleil. Elle travaille au café du coin, et promène son cochon sur son terrain en fin de journée. En réalité, elle court derrière lui plus que ne le promène, tirée par la laisse accrochée au cou de son porc domestique.
Il y a six mois, Charlie, du Montana, est venu la rejoindre. Un genre de cowboy hippie mécanicien, arrivé avec sa caisse à outils pour seul bagage. Il répare les voitures de toute la communauté. Il est du genre à pouvoir conduire à toute allure, fumer une cigarette, tirer sur sa pipe de marijuana, boire une bière et manger de la crème glacée, tout en même temps.
Leur maison ressemble à un squat douillet où je suis accueillie dès que ça me tente, à coups de pizzas maisons, salades de fruits exotiques, films, musique et j’en passe. Un jour où je parle de ma nouvelle passion pour le pain aux bananes, Charlie s’empare d’une machette qui traîne et me dit de le suivre sur le terrain aux mille bananiers, où il m‘apprend comment discerner la bonne maturité du fruit. Une heure plus tard, je goûte à son excellent pain aux bananes-chocolat-noix-canneberge.
Tous les deux vont me faire découvrir des endroits de plus en plus secrets, en commençant par le plage Jaws, près de Paia, connue pour ses rouleaux compresseurs de vagues, jusqu’à des cascades cachées des touristes.
Doc
Le propriétaire, Jeremiah de son vrai nom, se fait appeler Doc. Il vit en Alaska et vient visiter ses terres de temps en temps (un de ses fils vit sur la grosse île). Il a le physique de Sylvester Stallone et le charisme d’un animateur de téléthon. Je passe trois soirées chez les S. en sa compagnie, et chaque fois je me retrouve dans une lecture de contes pour enfants. Doc a eu quantité de vies et n’est jamais à court d’histoires à raconter. Il a grandi en Alaska, puis a vécu à Las Vegas pour un temps, où il a essayé de faire carrière comme chanteur. Trois mariages plus tard, il vit sur l’île Kodiak, est ophtalmologiste, et en plus de son magasin, il travaille pour l’organisme Lion qui l’envoie aux quatre coins du monde soigner les délaissés.
Doc ne voyage jamais sans sa guitare sur laquelle il interprète une multitude de chansons avec énergie et coeur. Chez lui, il anime pour le plaisir des mariages et des tournois de bras de fer (honneur dû à ses nombreuses victoires). Pour agrémenter toutes ses histoires extraordinaires d’aventurier, de rencontre avec des grizzlis qui se promènent sur ses terres et de costumes élaborés d’halloween (photos à l’appui), il nous a rapporté du poisson personnellement pêché dans les eaux froides d’Alaska. Il nous montre des photos de son chalet si reculé qu’il doit louer un avion pour s’y rendre, de ses voitures de collection qu’il achète en désuétude et répare, de ses enfants, de la comédie musicale dans laquelle il joue chaque année et j’en passe.
Doc est le genre de personne qui serait probablement trop imposante au quotidien, mais extrêmement inspirante à rencontrer. J’attribue la richesse et l’hyperactivité de sa ville à la rudesse de son climat. Ça confirme ma théorie sur le froid des villes hivernales qui stimulent les esprits créatifs. C’est très drôle de voir ce personnage au milieu de la famille S., qui passe son temps à prendre son temps.
Virginia
Virginia a changé son nom. Sud coréenne, elle a adopté le nom que son prof d’anglais lui avait donné car personne ne peut prononcer l’original. Elle doit avoir la soixantaine, marche au moins une heure par jour avec deux gros sacs remplis de ziplocs de biscuits, bananes séchées, noix… Quand elle est fatiguée, elle lève le pouce et saute à l’arrière d’un pick up.
Elle est acupuncteur, a fait une formation à Seattle, parle d’énergie et de relaxation. Sur la plage, elle choisit des roches volcaniques pointues pour nous relaxer les mains. Chaque dimanche, après l’église, elle nous accompagne à Hamoa jouer au beach volley, sans oublier d’emporter tous les restes du repas dominical; pas pour elle, pour notre goûter. Quand elle ne parle pas de chakra, elle parle de nourriture.
Je ne l’ai jamais vue sans son chapeau informe mais qui fait du sens, exactement comme elle. On ne peut pas la définir, et pourtant elle est reconnaissable de loin, et c’est toujours un rayon de soleil quand je la croise sur son chemin pour aller donner des cours de musique aux enfants, ou vers la bibliothèque pour regarder l’actualité de la Corée sur les ordinateurs.
Alden
Traditionnellement, à Hawaii, on donne de l’argent en cadeau de mariage. C’est avec celui-ci que les parents d’Alden se sont acheté un terrain près de Hana. Ils ont d’abord essayé différentes cultures avant de s’arrêter au cacao. Le cacaoyer est un des arbres à fruit qui vit le plus longtemps et donne un produit facilement exportable. Il demande cinq ans à être productif. Les deux premières années, il produit semestriellement, puis tous les mois pendant quarante ans. Les graines sont entourées d’un genre de litchi au goût de cacao. Il faut sept jours pour les fermenter, puis ils sont séchés à l’air.
Alden a repris la direction de la plantation appelée Hana Gold, aidé de sa femme et de ses parents. Quand il n’est pas en train de broyer des noix manuellement au couteau, ou de mélanger le chocolat dans le blender de sa mini cuisine, il fait visiter le terrain aux visiteurs. On ne peut pas trouver plus naturel et plus délicieux que ces barres de chocolat.
Tom
Tom vit au bord de la Hana Highway, en face de chez les S. Il est même mon adresse. Quand je fais du stop pour rentrer, je dis que je vis en face de Tom, le graveur de pierre. Tout le monde connaît Tom le graveur de pierre. La soixantaine, il vit dans sa van, en face de sa petite maison… Le toit a des trous et la réparation n’a pas l’air très urgente. Dans sa voiture il y a assez de place pour un matelas et une télé, et une bâche la relie à sa cuisine à l’intérieur.
Sur son terrain, il y a son atelier de pierres, qu’il sculpte à la scie électrique, souvent sous un gros parasol qui le protège de la pluie. Il crée des tortues, choix numéro un des touristes, mais aussi des reproductions de sa petite fille dansant le hula ou de son petit-fils faisant des grimaces. C’est toute son histoire en granite qui décore son jardin.
Il a le projet d’aller passer six mois sur le continent avec son fils, à parcourir le pays et trouver, enfin, des pierres autres que le choix assez restreint de Maui, et payer son voyage en vendant son travail sur le bord du chemin.
Lui aussi a toujours une histoire à me raconter quand je passe le voir, et de bons conseils sur les coins à visiter dans les environs.

LE TOUR DE L'ÎLE
Mars 2018
C’est vendredi. Le soleil sort de temps en temps de sa couverture de nuage, et me laisse apercevoir mon ombre que je pensais avoir perdue, comme Peter Pan. Elle me donne un coup de main dans mon travail de désherbage, elle est gentille.
À la fin de notre semaine d’apprentis agriculteurs, mes collègues et moi nous questionnons sur nos projets pour ces trois prochains jours de congés. On commence notre fin de semaine comme des fous, en marchant le kilomètre qui nous sépare de Coconut Glen’s, un marchand de glace sur le bord de la Hana highway. J’y découvre mon nouveau parfum préféré, le wok star, à base de rhum (mon côté capitaine crochet). L’endroit est un arrêt classique pour les touristes qui parcourent la célèbre route de Maui reliant Kahului et Hana, dont Tomasso, de Sardaigne, et Christopher, de Chicago. Ils se sont rencontrés dans une auberge à Kahului avec chacun le projet de faire des repérages sur l’île avant de s’y installer.
De fil en aiguille, on les accompagne à la Red Sand beach qu’ils n’avaient pas réussi à trouver tous seuls, puis vers une soirée open mic dont Martin nous avait parlé. Ça se passe dans une hutte près de Koki beach, où un mélange de locaux (blancs vivant à Hawaii) et de hawaiiens (descendants directs des indonésiens) se mêlent et se succèdent pour interpréter des chansons au ukulele, raper, réciter de la poésie ou jongler, dans le cas d’Isaiah. L’ambiance est très conviviale et aux odeurs de barbecue. Pendant qu’on observe la lune se lever sur l’océan, Chris et Tom nous proposent de les accompagner demain de l’autre côté de l’île. Mets-en que ça nous tente!
La route qui longe la côte ouest est encore plus étroite que la Hana highway, qui fait déjà pâlir les conducteurs les plus chevronnés. Il y est souvent difficile de croiser d’autres voitures, et on est même bloqués vingt minutes le temps que du monde aide une motocycliste qui a malencontreusement quitté la route. Par chance, un arbre l’ont arrêtés, elle et sa moto, sinon elle tombait de la falaise. Elle s’en sort indemne, mais sous le choc.
Le paysage est plus apprivoisé que de notre côté de l’île; il y a des jardins, des champs et de belles maisons. C’est définitivement le côté riche de l’île. Tom, qui a fait des études de géologie, nous explique la formations des îles de Hawaii: un magma de lave sous l’océan crée des volcans, qui forment les îles une par une. Big island est la plus grande car la plus jeune. Les îles migrent tranquillement vers le nord, et vers le fond de l’eau, d’où la forme de croissant de l’archipel.
On s’arrête à Honokaua, une plage de rochers gris, plus calcaires que ceux de l’est de l’île qui sont volcaniques. L’océan est si calme que j’ai du mal à croire que c’est le même qu’à Hamoa. Ça fait du bien de nager sans lutter pour ne pas se faire avaler.
On continue notre route jusqu’à Kihei, sur une plage de sable fin blanc. Tous ces paysages différents sur un si petit bout de terre! On passe au supermarché d’un grand espace commercial pour s’acheter à manger, du gros luxe après le magasin général près de notre ferme.
La chasse à l’espace pour poser nos tentes est difficile, car c’est interdit partout. Ce ne sont que terrains privés et plages protégées, jusqu’à ce qu’on arrive à La Perouse Bay. Ça semble être un endroit parfait, au bord de l’eau, près de vans reconverties en mini-maisons, comme si on était quelques privilégiés à s’être trouvé le spot parfait dans cet eden insulaire. On va se faire remarquer le lendemain qu’on a posé nos tentes devant un grand panneau dont certains des mille mots inscrits dessus interdisent le campement, mais le mal sera fait. Je suis contente d’inaugurer ma nouvelle tente cocon et m’endors au son des vagues de cette île la plus reclus au monde.
Dans la lumière du lever de soleil, Tom et Chris nous déposent à Paia. Ils reprennent chacun l’avion ce soir et doivent rendre la voiture. On refait le tour par le nord, puisqu’il n’y a pas de route sur l’extrême sud de l’île.
Un bel après-midi sur la plage permet de compléter la nuit qui a été entrecoupée par les rafales de vent qui ont fait vibrer ma tente, et le soleil m’offre mon premier beau coup de soleil hawaiien. Merci, fallait pas.

PERTE D'IDENTITÉ
Mars 2018
La maison des volontaires se situe entre une maison en construction, et une en voie de destruction. C’est pourquoi avec ma collègue on va faire une tour chez Macy’s, un garage rempli de vêtements et bibelots de seconde main, et une boîte de donation sur le côté pour y laisser quelques pièces en échange de nos trouvailles. Les dons vont à l’aide à l’éducation des enfants défavorisés. Bingo! On trouve deux tableaux, un chandelier, un beau bout de tissu et une guirlande. Ça va être magnifique.
Comme d’habitude, on autostop notre chemin. Pour le retour, une première voiture nous dépose à Hana Farms, un marché de bord de route qui vend des produits provenant exclusivement de la ferme attenante. C’est parfait, je suis complètement accro à leur pain aux banane aux pépites de chocolat. J’en achète un en ayant déjà hâte au dessert de ce soir.
Deuxième voiture, un pick up avec deux gars et deux filles à l’intérieur. On embarque dans la boîte à l’arrière, entre la glacière et les planches de surfs. On est pas les seuls à avoir apprécié la belle journée. On leur dit qu’on vit en face de chez Tom le graveur de pierre, ils savent où c’est. En arrivant, on est fières de lui montrer nos trouvailles, puis je vais vers le point stratégique du domaine où le wifi est accessible pour aller voir mes courriels, quand je réalise que j’ai oublié mon sac à dos dans le pick up. J’ai pensé à mon stupide tableau et chandelier, mais pas à mon sac avec carte de crédit, d’assurance, passeport, appareil photo et téléphone. Fouille moi pourquoi j’ai pris tout ça pour aller à la friperie, mais je me retrouve sans identité ni moyen de communication… Je retourne vite voir Tom qui a échangé quelques mots avec le conducteur du pick up. Il lui semble l’avoir déjà vu, mais ne sait pas qui c’est, et ça va le travailler pendant des semaines.
Il me reste 160$ pour vivre, que j’avais laissés dans ma chambre. Par chance, je suis dans un pays dont je comprends la langue et suis nourri (à peu près) et logée. Ça pourrait être vraiment pire. Au fur et à mesure des jours je réalise que dans mon sac il y a aussi le fameux pain aux bananes en train de moisir, ma lampe frontale, mon couteau suisse, ma veste de pluie (dans une région où il en tombe seize pieds par an), mon produit antimoustique… Assez vite, tout mon entourage se mobilise pour m’aider. On me dit que le monde d’ici est honnête et que le chauffeur sait où il m’a déposé. Ça se peut qu’il prenne quelques jours à trouver le sac, mais ce genre de choses arrive souvent ici et tout rentre dans l’ordre. Michelle poste une annonce sur la page facebook de la ville, Tom me dit d’en mettre une au magasin général, Linda m’emmène au poste de police faire une déclaration de perte. Le mot circule, les encouragements affluent, mais assez vite je me rends à l’évidence, mes affaires sont perdues.
J’appelle ma banque avec le faible réseau de la région, et espère qu’ils ont compris où m’envoyer mes nouvelles cartes. Elle me parle de dix jours ouvrables, sans compter le fait qu’on est dans un coin perdu d’une île isolée, et qu’à la poste de la ville (le facteur ne s’embête pas avec le porte à porte), le commis distribue le courrier dans les boîtes postales de 12:00 à 12:20. Si c’est pas fini, c’est reporté au lendemain. J’imprime une photocopie de mon passeport que j’avais dans mes courriels grâce à l’imprimante de l’hôtel de luxe de Hana. Ils me prennent en pitié et me donnent le mot de passe pour accéder à internet sur l’ordinateur public que plus personne n’utilise, maintenant que chacun a téléphone et tablette personnels. Je vais utiliser ce code jusqu’à la fin de mon séjour, essayant de cacher les taches de boue de la fermière que je suis, et d’avoir l’air de pouvoir me payer une chambre à 800$ la nuit. La photocopie, que j’espère me servir de carte d’identité, ne me permet au final même pas de m’acheter une bière au magasin général. Apparement j’ai l’air d’avoir moins de 21 ans, je sais pas comment le prendre…
J’appelle l’ambassade australienne à Honolulu, sur l’île Oahu, qui a un partenariat avec la Canada pour les îles d’Hawaii. On me dit que pour demander un passeport temporaire, il faut plein de papiers auxquels je n’ai pas accès maintenant, mais que le rapport de police est suffisant pour prendre l’avion et même traverser la frontière. On me rassure en me disant que je n’ai pas besoin de rentrer maintenant, mais peux continuer mon voyage. On me conseille cependant de choisir une frontière terrestre plutôt qu'aerienne. Ça va pas être facile madame, je suis sur une île.
Par un heureux hasard, j’avais laissé mon permis de conduire à ma voisine à Montréal pour qu’elle aille chercher un colis pour moi, et elle me l’envoie en express. Au moins j’aurai une pièce d’identité.
Je pense à mon bon appareil photo dont j’avais pris des des années à me décider à acheter, et à toutes les photos que je ne prendrai pas; à mes prélèvement automatiques de factures qui vont être bloqués avec ma carte de crédit; à mon téléphone que je vais devoir racheter en rentrant; à mon sac à dos, si pratique… Je sais que ce ne sont que des choses matérielles, mais je pense à ma stupidité, à mon inattention, et suis tout autant émerveillée de l’esprit de communauté et d’entraide dans lequel je suis. Michelle et Charlie m’invitent tout le temps chez eux, Virginia, que je croise dans la rue, m’amène à un food truck manger le meilleur poisson frit que j’ai jamais mangé, Tom me demande des nouvelles chaque fois que je le croise et me donne des conseils sur les activités gratuites de la région. Linda m’aide à passer tous les coups de téléphone dont j’ai besoin, et la générosité de purs inconnus vont rendre cette expérience surprenante et, presque, agréable.

LE DOUX SON DES BAMBOUS
Mars 2018
Je m’étais prévu une fin de semaine à Olowalu et Lahaina, mais pour ne pas brûler mes derniers dollars et ne sachant pas quand je vais recevoir ma nouvelle carte de crédit, j’annule le projet. Pour me changer les idées, je vais à Kipahulu, dans la partie du parc Haleakala qui est au bord de l’océan. J’aide mon premier lift à livrer des pains aux bananes au Hana market, la torture ! Un autre m’est donné par un texan en voyage d’affaire, qui a loué une voiture pour sa journée de congé. Comme la plupart des touristes, il suit son guide qui lui conseille de parcourir la Hana highway; mais il semble que c’est jamais bien expliqué que c’est le trajet et les multiples cascades qui l’accompagnent qui sont intéressants, mais pas tant la ville de Hana. Il a fait toute la route sans s’arrêter et allait rebrousser chemin, mais décide de m’amener dix miles plus loin à Kipahulu.
La randonnée accessible prend environ quarante minutes; d’abord dans le bois, puis dans une forêt de bambous. Le vent fait s’entrechoquer les troncs, produisant un son doux et apaisant, comme les mobiles devant les portes d’entrée de certaines maisons, mais à grande échelle. Il doit bien avoir des milliers de ces arbres filamenteux autour de moi, me transportant dans un monde parallèle, où les sons ont une vie propre.
Au bout du chemin, je me retrouve au pied de Waimoku, une cascade de quatre cents pieds. Elle est élégante, fluide et hypnotisante. J’échange quelques mots avec une femme qui rapidement me demande pourquoi je ne prends pas de photo. C’est le début d’une longue liste de personnes qui vont m’aborder pendant ce voyage, se questionnant sur l’absence d’appareil photo dans mes mains. Quand je lui explique ma situation, elle me propose de me prendre en photo et de me l’envoyer. Beaucoup me proposeront la même chose et certains le feront, me laissant quelques souvenirs de ce périple. Devant mon peu de contenance à poser, elle me fait lever les bras en l’air et crier “I lost my passport!”.
Pour revenir à Nahiku, deux sud-coréens m’embarquent dans leur voiture, dont la radio joue du classic rock réconfortant. Ils parlent peu anglais, mais sont tellement affectueux que ça me fait plaisir de m’arrêter avec eux sur le chemin pour qu’ils puissent prendre des photos du paysage, dont une avec moi les accompagnant à faire le classique signe de victoire asiatique.

VISITE À LA BIBLIOTHÈQUE
Mars 2018
La bibliothèque de Hana est sur le campus de l’école primaire. La bibliothécaire est une hawaïenne à qui tu voudrais faire un câlin quand tu as besoin de réconfort. Elle connaît tous ses clients par leur prénom, prend soin des enfants (ce qui est d’autant plus émouvant quand on sait que l’année dernière, seulement dix huit jeunes ont fini le secondaire et qu'apparemment c’était un exploit). J’y retrouve Virginia. Pendant qu’elle écoute les nouvelles coréennes sur un des ordinateurs, je me lance dans un immense puzzle commencé par des enfants (je suppose). La bibliothécaire vient me voir; Virginia lui a parlé de moi. Elle s’inquiète de ma situation, mais je la rassure, je suis bien entourée. Elle me raconte que de son côté, elle est revenue dans la région pour prendre soin de sa mère malade, après plusieurs années passées de l’autre côté de l’île.
D’un coup, Virginia se lève, toujours coiffée de son chapeau informe, me sourit et me dit du maximum de décibel autorisé dans cet endroit de lecture: “Picnic!”. En quittant, la bibliothécaire me tend un billet de vingt dollars que je refuse, espérant ne pas trop la froisser. Le geste en soi me réchauffe énormément le coeur mais je lui promets que ma carte de crédit ne doit plus être très loin.
On sort donc pour aller s’assoir à une des tables extérieures du campus. Virginia sort, comme à son habitude, tous ses ziplocks de nourriture, ainsi qu’un ananas, qu’elle découpe en rondelles grâce à un couteau à hélice qu’elle affectionne particulièrement. Devant nous, s'installe un cours de Hula, danse traditionnelle hawaïenne. La maître d’oeuvre est une femme en surpoids mais à la grâce d’un cygne, accompagnée de ses trois élèves d’un certaine âge, parfaitement en rythme. À la stéréo, une chanteuse à la voix douce comme du miel sur un fond de ukulélé, aussi divertissante que Virginia, qui interrompt le cours pour offrir de l’ananas à la classe.
Toute la beauté de Hana se trouve dans les plaisirs simples et dans ses habitants hauts en couleurs.

À LA CONQUÊTE DU VOLCAN
Mars 2018
Après deux remises à plus tard, je prends les 70$ qu’il me reste et pars conquérir le volcan Haleakala, au sommet de l’île. Pour m’y rendre, 110 kilomètres à parcourir en stop, qui commencent par une petite promenade sous la pluie battante, mon corps partiellement protégé par un vieux poncho de dépanneur que Linda m’a donné. Il est 8h30 un samedi matin et la rue est déserte; alors je passe voir Kak, une thaïlandaise de soixante ans qui fait une pause dans son tour du monde. Elle tient un stand de nourriture sur le bord de la route. Cette merveilleuse femme m’offre un de ses pains aux bananes pour mon périple, ce qui me donne un regain d’énergie et le sentiment que tout va bien aller maintenant. Après quinze minutes de néant automobile, un couple s’arrête. Ils vont à Paia pour la journée, ça m'avance bien. En me déposant, ils me donnent des bananes pour me donner des forces.
Je profite des prix plus respectables du magasin général de Paia (par rapport à celui de Hana), pour aller faire mes provisions pour les deux prochains jours en camping. Je n’ai pas beaucoup de place dans mon sac, pas de glacière, un vrai défi que je relève avec encore en tête la musique motown qui animait la voiture qui vient de me déposer. Dans la ligne pour la caisse, un homme me tend une feuille sur laquelle sont écrits des indices de bonheur. Sa mission d’aujourd’hui était de trouver la personne méritante et mon gros sac à dos l’inspire. Ça à l’air que j’ai une bonne aura.
Après cinq minutes de marche sous la pluie qui n’en a pas fini, deux californiennes m’embarquent. Elles ne font que deux kilomètres, mais c’est mieux que rien. Elles sont en vacances pour une semaine et cherchent quoi faire par ce temps délicieux. Sur la route, les arbres jackaranda sont des pointes de violet saturé dans un paysage totalement gris. Assez vite, les filles s’accordent pour m’amener jusqu’à Kula, à 20 kilomètres. Sur le continent, elles travaillent dans une plantation de cannabis médical et sont à Hawaii entre autre pour développer leurs activités et locations. Elle aiment l’improvisation, si bien qu’une fois arrivées à Kula, après un bon chocolat chaud, elles décident de m’amener jusqu’au parc, puis de là jusqu’à mon emplacement de tente à Hosmer grove. Au final, alors que je m’étais préparée à passer la journée sur la route, j’arrive à destination à midi!
Un semi-abris me permet de monter ma tente au sec, puis de la transporter sur le terrain où il y en a deux autres. Ça me rassure un peu. Entre la pluie et les nuages, j’ai l’impression d’être dans un autre monde. J’essaie de faire du sens à l’intérieur de ma maison de tissu, mange un sandwich et des bananes, puis pars affronter la montagne. En quatre heures, je croise trois personnes. Il pleut par intermittence et je déchire mon poncho auquel je fais des noeuds forts esthétiques. Je dois avoir fière allure! Mais je n’ai pas tant de linge et ne peux pas me permettre d’être trempée. Les nuages parfois s’écartent pour laisser entrevoir la profondeur du volcan. Je suis seule dans cet immense amas de terre recouvert d’une végétation épineuse très différente de celle de la jungle de Nahiku. Les nuages dansent avec moi et je me surprends à chanter. Je finis par une promenade dans une forêt aux odeurs d’eucalyptus.
Tandis que je fais une pause au sec dans ma tente, j’entends enfin de l’activité dans le campement. Deux couple cuisinent sous l’abris. L'un est de San Francisco, Andy et Melissa, qui me donnent des conseils pour mon passage dans la ville dans un mois; l’autre est du Wisconsin, Jane et Jim. Pendant qu’on parle, un miracle météorologique dégage le soleil couchant, pour laisser un orange voluptueux enrober les arbres et les nuages. Ils me font penser à la violence de la danse des vagues de la Red Sand beach; un mouvement désorganisé et presque irréel anime le ciel. C’est comme une combinaison de tous les types de nuages existants.
Jane et Jim m’ont offert de profiter de leur voiture pour aller voir le lever du soleil au sommet. À 5h, on se joint à la chenille de phares qui remonte doucement le volcan. En attendant l’éclaircie du ciel, je tente de sécher mes chaussures encore détrempée de la veille au séchoir de la salle de bain, mais l’eau de pluie haleakalienne est tenace. C’est donc les pieds en glaçon que j’observe le lever de soleil, un peu caché, colorer les nuages, puis laisser entrevoir la côte, les îles alentours (Big island, Lanaï…) .
Une fois le jour bien présent et les cars de touristes repartis vers la ville, j’embarque sur le chemin Keonehe’ehe’e, aussi appelé Sliding Sands. Après avoir dépassé deux groupes, je me retrouve seule dans le cratère. Seule, à perte de vue. C’est un peu angoissant, et très euphorisant. J’apprends plus tard que la route a été fermée juste après moi pour secourir un marcheur en détresse respiratoire, d’où les hélicoptères que je prenais pour des vols touristiques. Je suis seule donc, dans cet espace concave, noire, parsemé de projectiles volcaniques. Je suis des traces de pas dont je ne pourrais dire la date. Elles pourraient tout aussi bien être celles de Neil Armstrong. Le peu de végétation est composé de Silversword, une sorte de bébé cactus argenté, et de quelques arbustes qui tentent de survivre. Les oiseaux, eux, portent toutes les couleurs qui ont été retirées du sol.
Je contourne des dunes de sable noir pour rejoindre le chalet de Holua, après quoi je croise régulièrement du monde. C’est la fin de mon exquise solitude. L’espace est tellement dépourvu de végétation que je peux presque voir les vingt kilomètres parcourus, et ça me plaît. J’aime voir ce que j’arrive à couvrir avec mes seules jambes.
Jim et Jane font la route jusqu’à Hana, ce qui serait un formidable moyen de rentrer directement, mais j’ai envie de prendre mon temps. À la place ils me déposent à Kula. Il n’y a pas beaucoup de trafic à 8h, et pourtant ça prend juste cinq minutes avant qu’une voiture s’arrête. Le chauffeur s’appelle Chris, et quand je lui dis que je cherche le champs de lavandes, il me dit: ça tombe bien, c’est là que je m’en vais travailler. On ouvre dans une heure, mais je peux te faire entrer et tu peux t’y promener en attendant. Tsé, quand le hasard fait bien les choses! En bonus, ça me fait économiser l’entrée, ce qui est très apprécié dans ma situation encore un peu précaire. Merci Chris.
Je déambule dans ce champs de lavandes et fleurs tropicales aux odeurs délicieuses et tranquillisantes, avec l’océan au loin et un soleil qui m’aide à me réveiller doucement. Des bancs me permettent de méditer sur la belle vue. À l’ouverture officiel du jardin, j’apprends par une employée que cette région est la seule de l’île favorable à la production de lavande; moins pluvieuse que le nord, moins sèche que le sud et pas trop en altitude.
Je veux passer par Paia avant de rentrer, pour essayer d’y voir des tortues. La plage Baldwin est supposée être un repère pour elles, mais jamais quand j’y suis. Tant pis. Mon deuxième projet pour la ville est de m’offrir un bon repas au Fish Market dont on m’a souvent vanté les mérites. En attendant mon énorme assiette de quesadillas au poisson, je fais la connaissance d’une australienne qui en est à son cinquième voyage sur l’île, et d’Alicia de Portland, accompagnée de sa mère Maxine. L’australienne nous conseille la plage Ho’okipa pour voir des tortues. Alicia et Maxine veulent bien m’y emmener, c’est sur leur chemin.
Enfin! Plus d’une vingtaine de tortues se font un bain de soleil. Elles sont géantes, gracieuses, tranquilles. Elles font un va-et-vient continuel entre la fraîcheur de l’eau et un bain de soleil sur la plage. Elles ne semblent pas perturbées par le cercle de photographes amateurs autours d’elles, où peut-être qu’elles aiment l’attention. Merci Kak, ton pain aux bananes a apporté de la magie sur tout ce week end.
Maxine joue la carte maternelle et ne me laisse pas repartir sans me couvrir de crème solaire et me donne 8$ en s’excusant de ne pas avoir plus sur elle. Je n’arrive pas à refuser, elle sait y mettre le ton. En prime, Alicia va m’envoyer des photos, dont certaines que je pose ici, me donnant quelques souvenirs graphiques de cette journée.
Contrairement à l’aller, je monte dans une multitude de voitures pour rentrer à la ferme, dont l’une d’elles m’arrête aux Twin Falls. Je suis contente parce que je n’avais pas encore eu l’occasion d’y aller. La conductrice rend visite à son amie qui vit à côté. Quand elles étaient petites, elles allaient se baigner au pied des cascades comme d’autres dans une piscine municipale. Maintenant, les touristes ont pris possession des lieux, et je comprends pourquoi. C’est magnifique. Je reste une bonne heure assise à observer ces deux petites, mais impressionnantes, chutes d’eau. J’utilise cinq des huit dollars de Maxine pour m’offrir un jus de canne à sucre. J’ai l’impression de vivre la grande vie! Je me sens libre, en vadrouille, prête pour l’impossible.
Mon lift suivant est un jeune homme avec une larme tatouée au coin de l’oeil, qui me fait évidemment penser à Cry Baby. Originaire de Haiku, il est allé vivre chez sa tante malade dans l’ouest de l’île, pour l’aider. Aujourd’hui il va couper du bambou dans la forêt parce que sa tante crée des objets avec cette matière. De son côté, il cherche le moindre prétexte pour fuir la ville, pour “see things that are not man made”. On s’entend.
C’est enfin une allemande, qui vit maintenant aux îles Canaries, qui me ramène à Nahiku. Elle visite sa soeur qui vit ici. Chez elle, elle organise des séminaires d’introspection de soi, d’herbothérapie… une vraie hippie, qui ne s’épile pas et ne porte pas de brassière. C'est aussi ça Hawaii.
Ce week end, qui a commencé sous la pluie et dans l’attente inespérée d’un lift sur une rue déserte a peut-être été le plus beau moment de mon voyage.



MARIAGE, PÂQUES ET AU REVOIRS
Mars 2018
Après trois semaines à attendre ma nouvelle carte de crédit, je demande à ma grand-mère dans le ciel si elle ne peut pas faire une de ses célèbres tartines au roquefort ou fameux jus d’orange à quelqu’un pour jouer en ma faveur. Le lendemain, j’arrive à joindre ma banque pour demander des nouvelles et on m’apprend que ma carte a finalement été envoyée par UPS, et est arrivée à destination il y a plus de deux semaines! Je vais voir Linda qui me dit que les colis UPS sont envoyés au magasin général et non à la poste, et qu’ils ne s’embêtent pas à envoyer des avis, on a qu’à être au courant de nos commandes. Quand j’arrive au dit magasin et donne mon nom, la commis me dis que oui, elle a ma lettre et tout le monde se demandait bien quand est-ce que j’allais me décider à venir la chercher. À peu près cent kilos s’enlèvent de mon dos instantanément. Je ne suis plus dépendante de la famille S., je peux continuer mon voyage, et ai même fait pas mal d’économies sur mon budget. Merci grand-mère pour ton efficacité! Je suis d’autant plus soulagée qu’avant l’incident, j’avais pris un billet d’avion pour changer d’île la semaine prochaine…
Dans la semaine, deux de mes lifts ont été par Liho et Little John, chacun m’ayant convié au mariage du fils de ce dernier vendredi soir à Koki beach. Je ne me sentais pas à l’aise d’y aller, mais ma collègue s’est sentie invitée par extension et c’est avec sa moitié et Martin qu’on se décide à y aller, après une après midi étendus sur la plage Hamoa. Tout sablés et salés, on arrive à la grande tente blanche à côté de laquelle est installée une belle arche fleurie. Une bonne centaine de personnes sont présentes aux habits assez décontractés. L’élégance des femmes se trouve dans leurs chevelures, ornées des plus belles fleurs de la région.
La cérémonie commence. Les mariés se dirigent vers l’arche au son de souffleurs de coquillages. Les demoiselles d’honneur détonnent du reste de l’assemblée par leurs belles robes roses, et les garçons d’honneur ressemblent à un boysband des années 90, en chemises blanches amples et Timberlands. Le tout dure environ dix minutes, à la suite de quoi se succèdent différents groupes ou chanteurs aux sonorités de ukulele. Un bar, avec chasse-moustiques inclus, ouvre, pendant qu’une longue ligne se forme vers le buffet. Environ quinze plats et viandes, poissons, légumes et salades sont individuellement servis par un sourire, plus trois ou quatre desserts en bouquet final. C’est absolument délicieux. Quand je vais remercier Leho et Little John de l’invitation, ils me répondent qu’ils sont contents que je sois venue profiter de l’amour hawaïen. L’ambiance est décontractée, joviale, les mariés presque en retrait pour laisser place à la fête elle-même.
Le samedi, Michelle et Charlie veulent me montrer des endroits que je n’ai pas encore vu. On commence par les Seven sacred pools. Par chance, la vague de touristes qui amorce la belle saison est au concours de surf de Koki beach. On est donc seuls sur cette belle étendue d’eau entourée de petites falaises, avec vue sur l’océan.
On longe la côte quand Charlie décide de s’arrêter boire une bière avec un de ses amis, qui s’est installé une aire de détente devant son terrain, sur le bord de la route. Je ne sais pas si c’est une bizarre de location parce qu’on est dans un virage serré d’une route aux voitures bien trop rapides pour l’espace alloué, ou bien un parfait endroit entre champ et montagne. Ce que je sais, c’est que l’ami de Charlie me parle de son ras-le-bol de la masse touristique, mais que ça ne me concerne pas. En fait, je suis rapidement traitée comme une semi-locale en ville, n’étant pas juste de passage, et encore mieux, étant ici pour travailler la terre.
On continue à se diriger vers l’ouest. Michelle nous fait dépasser une fausse pancarte “propriété privée” pour aller voir une cascade cachée. Des hawaïens rencontrés plus tard sur la plage nous expliquent l’émergence de ces faussent restrictions pour limiter le passage. La surpopulation de visiteurs, même sans compter ceux qui détériorent volontairement la place par les déchets jetés au sol et l’arrachage de fleurs, crée l’érosion, l’usure et la saleté. C’est aussi la cause des réponses souvent évasives aux demandes de directions dont j’ai souvent fait l’expérience. Les locaux ont donné certains lieux aux touristes, mais veulent en préserver d’autres juste pour eux. C’est extrêmement compréhensible et je me sens d’autant plus privilégiée d’avoir acquis la confiance de Michelle qui me montre certains de ces endroits cachés.
Dimanche, toute la famille s’est levée très tôt pour être à 6h à la croix, au sommet d’une colline à l’entrée de Hana. Le jour de Pâques, l’église des S. se mêle la celle de la ville pour aller célébrer la messe tout en haut au lever de soleil. La cérémonie est paisible, habillée d’une légère brise.
Après une pause sereine à la Red Sand beach, on part pour un deuxième service à l’église habituelle. C’est ma dernière rencontre avec ce monstre qui s’est un peu calmé avec la venue du printemps. La température et le temps sont parfaits. Je me sens en vacances, surtout que je n’ai plus à travailler à la ferme. Je me sens presque comme chez moi, avec des amis de longue date.
S’ensuit une défaite monumentale au beach volley à Hamoa beach, comme à mon habitude, puis une balade à l’arrière d’un pick up à observer les étoiles en se rendant chez un ami d’Isaiah regarder le dernier Star Wars en mangeant une pizza. Hawaian style.
Ma dernière journée ressemble à l’épisode final d’une série télé. Tandis que je me promène en ville, je croise toutes les personnes que j’ai rencontrées durant les six dernières semaines. Little John, qui est fatigué des préparatifs du mariage et à hâte de se reposer au travail. Hope et Jacob, qui préparent leur chanson pour la soirée open mic de vendredi prochain. Gaby, qui travaille chez Hana Frams et avec qui je prends un thé. Elle me parle d’un feux que Isaiah a prévu dans son jardin le soir comme soirée d’adieu. Radio S. est très efficace. Malheureusement la pluie va annuler le programme. Charlie me fait signe de sa voiture. Il n’y a que Virginia que je ne vois pas et à qui je ne ferai malheureusement pas de vrais adieux...
Rien de ce que j’avais prévu, ou presque, ne s’est passé sur cette île. Il n’a pas fait beau, je n’ai pas appris à surfer, ni vraiment à m’occuper d’un jardin. Je ne me suis pas promenée sur les volcans tous les matins avant d’aller travailler ni ne me suis baignée le soir en finissant. Pourtant, cette expérience a été très enrichissante, j’y ai rencontré des personnes extraordinaires. Et la perte de mon sac, bien que je m’en serais passée, m’a forcée à me concentrer sur une petite partie de l’île et à la découvrir en profondeur, elle et ses êtres hors du commun.

